Atelier /2

Mathilde Abadie

Ces études de traduction littéraire sont la conséquence d’études antérieures en sciences cognitives, d’un amour de la littérature et du rapport aux mots. Je voulais savoir comment passer de la sensation àla langue. J’en ai eu marre de la philo. La traduction littéraire a changé ma perspective sur la langue.

Le rapport au roumain est àprésent agréable mais ça n’a pas toujours été le cas. C’était la langue que j’utilisais avec mes grands-parents, ma langue maternelle en fait au départ – qui est maintenant devenue le français et j’ai arrêté de parler longtemps àcause des moqueries, je vous l’ai déjàraconté. Ça doit quand même être enrichissant de naître au sein de deux langues.

Au début j’aimais cette langue et cette culture, mais après j’ai tout arrêté. J’ai même arrêté d’aller en Roumanie. Plus tard, j’ai recommencé àlire en roumain grâce àdes livres de philosophie et métaphysique indiennes, des ouvrages en roumain àla base.

C’est devenu un rapport de curiosité et de frustration, on s’était tellement éloignés tout ce temps. Maintenant c’est un rapport de jeu et d’appréciation, pouvoir écrire ànouveau en roumain.

Il y a le a (euh) avec un accent circonflexe inversé, le â ou le î ; le t (tseu) avec une cédille, le s (sheu) avec une cédille. Nous sommes déjàperdus dans ces quelques nouveaux sons. La prof rit et dit que c’est le « Â tseu  » bulgare. Le ă (euh) est È™ (sheu) sont doux àdire. Les Français font une tête bizarre quand ils le prononcent. C’est drôle. C’est utilisé dans « Â sho-bo-lan  », ça veut dire « Â rat  ».

Mais c’est une sensation forcée car avant je zozotais.

Maman, c’est le premier mot que j’ai appris bien sà»r. J’avais écrit quand j’étais petite une poésie qui disait « Â tchiou-per-cou-tsa tchiou-per-cou-tsa  », « Â petit champignon, petit champignon  ». Ce mot m’a marquée. Ma mère me parle encore de ce poème.

Petit champignon, petit champignon,
Tu es petit et mignon.

Mère et grands-parents maternels ont été mes instructeurs principaux de roumain, et aussi marraine, qui avait des cheveux d’un blanc éclatant, des lunettes et des robes très colorées, toujours dans son jardin.

Ma mère, ma grand-mère maternelle, cette marraine.

Ma mère ressemble physiquement àma grand-mère : petite, toujours avec un accent, des cheveux longs et bruns, alors que son ainée avait des cheveux rouges et courts, des lunettes. Beaucoup de couleurs, beaucoup de femmes.

Il y a une expression roumaine imagée : « Â Faire de l’ombre sur terre pour rien.  » C’est drôle de dire cela.

Nous rions ensemble de bon cœur.

Je ne sais pas si j’en ai d’autres.

Elle nous montre la technique de sa mère pour s’essuyer le nez.

Wi-tsatch-wara, wi-tsatch-wara !

Regarde une Corneille, elle vole !

Regarde une corneille, elle vole !


Atelier d’écriture 29.02

Le lavabo était bouché, ce n’était pas étonnant car c’était ce qu’il se passait chaque fois qu’on versait le marc de café dedans, on ne voyait rien de spécial pendant des jours voire des semaines, puis soudainement l’eau des pâtes ne s’écoulait plus et il fallait faire une des choses que je détestais le plus, au cas où la technique de la cup qui remplaçait la ventouse, dans mes éternelles idées minimalistes, échouait, c’est-à-dire qu’il fallait vider tout le bazar accumulé sous l’évier, une panière contenant des sacs-poubelle, des masques, un mètre àmesurer, des sacs pour litière àchat alors que je n’ai plus de chat, et àcôté de cela une cagette avec des pommes de terre mal emballées si bien qu’elles allaient pour sà»r germer vu que je n’étais pas làsouvent et, quand j’étais làj’oubliais que je les avais, vu qu’en ces courts moments je ne savais pas vraiment moi-même où j’habitais àforce de me faire balloter dans ces différents trains qui vont dans les quatre coins de la France, la moitié arrivés des heures en retard àcause soit des « Â animaux au milieu de la voie  » ou encore la locomotive qui tombe en panne en pleine campagne, dans « Â la diagonale du vide  » où sont assignés les trains dont plus personne ne veut depuis les années soixante-dix et qui ressemblent àdes transsibériens russes où on pourrait facilement croiser la mafia en habits de gentleman, suivis de près par le Sherlock local, lui aussi en habits de gentleman, àla poursuite de l’homme qui était peut-être le même que celui qui a bouché mon évier, parce que le jour où il est arrivé chez moi pour prendre les clés je me suis rendu compte qu’il n’était probablement pas l’individu que j’imaginais quand il a débarqué dans une grosse jaguar grise, assez virile, héritée apparemment de son père, et la valise de luxe qu’il sortit du coffre, de son ex, mais je n’avais pas envie d’en savoir plus car j’avais un train àprendre.



Samira Agrade


Texte1/ les Sacs

Le téléphone sonne. C’est un appel Visio. J’aperçois mon père allongé sur son lit d’hôpital, les yeux fermés, lui qui essayait toujours de garder son sourire pour ne pas m’inquiéter. Il faut que je fasse un saut àla maison pour récupérer mon passeport et partir en urgence, c’est une question d’heures. Bouleversée et dans l’incapacité de réfléchir, tout se bouscule dans ma tête. Je saisis mon sac cabas et je ne mets dedans que le nécessaire : mon portefeuille, ma trousse de toilette, mon portable et ma liseuse avec les chargeurs.


Texte 2/ La langue

J’ai toujours eu une aisance avec les langues et les dialectes, j’arrivais àsaisir les accents et les intonations. Il m’arrivait souvent d’imiter les gens, pour moi c’était un jeu amusant. Je dirais même une manière d’explorer de nouveaux horizons, d’apprendre les expressions, les proverbes… Je partais en expédition àchaque fois que je découvrais une nouvelle langue.

Quand je me suis installée dans la banlieue parisienne, j’étais loin d’imaginer que je serais incapable de suivre une discussion, je me souviens encore de la première fois, je me suis sentie comme une extraterrestre et on a vite compris que j’étais ailleurs.

Inverser les mots, y ajouter une pointe d’intonation propre au parisien ou parler rapidement n’avait rien d’amusant, pour moi c’était pénible de voir cette langue subir tant de violence, pour moi qui veillais toujours àbien articuler et choisir mes mots… 

« Â Maintenant  » devient main-nan, « Â je ne sais pas  »Â : ché-pas, « Â après  »Â : a-rré et j’en passe. Voilàun nouvel exercice auquel je dois m’appliquer si je veux me fondre dans la masse et ne pas attirer l’attention sur moi.

Texte 3/ La poésie sonore

Tantôt
Il m’appelle par mon prénom
Tantôt
Il me dit Madame
Tantôt
Je mets le manteau blanc
Tantôt
J’enfile mes baskets
Tantôt
« Â Ã‰loignez-vous du quai !  »
Tantôt
Je vais m’en griller une
Tantôt
Je suis fatiguée
Tantôt
Je me perd dans mes idées
Tantôt
La vie n’est pas un long fleuve tranquille
Tantôt
La vie est àcroquer pleinement
Tantôt
Souriant
Tantôt
Boudant
Tantôt
A n’en pas finir
Tantôt
Il faut mettre le bijou dans l’écrin
Tantôt
Il est souvent déchargé
Tantôt
Le ciel est ombragé
Tantôt
Je surveille ma ligne
Tantôt
J’ai mauvaise mine
Tantôt
Je suis dans les temps
Tantôt
Oups ! il fallait y penser



Prunelle Blanc Dubost

Texte 1

Surpense. Siège sur la 7. Se prétend socialiste et se révèle antifa.

Texte 2

2007. Le sac àroulettes Totally Spies, rose et coloré. Ma mère n’en voulait surtout pas, il était immonde, disait-elle. 2013. Mon sac àdos Eastpak blanc aux inscriptions incompréhensibles, mais qui avait tout de même fière allure. 2017. Ce sac àdos jaune et suédois qui m’avait coà»té tout un bras mais qui ne m’avait servi que deux trois fois. 2023. Mon sac banane que j’emmenais àchaque Fête de l’Huma. La Femme. Les Vulves assassines. 2024, àla bourre. J’enfile mes dr. et j’ai déjàmal aux pieds. Je saigne. J’attrape le premier tote bag qui me vient sous la main : Voyage dans la lune. Qui est l’imbécile qui a inventé ces sacs ? Un vrai bordel, je ne retrouve jamais ce que je cherche. Un sudoku et Nous, histoire que je m’occupe au travail, mes clés et mes calmants - j’y pense, faudrait que j’augmente la dose.

Texte 3  : En anglais je suis confiante. En français un peu moins. En finnois pas du tout. J’hésite, je bégaie, j’oublie des mots. Et puisque je suis perfectionniste, alors, je m’essaie au puhekieli. Mais c’est pour mal l’utiliser que je le sors. C’est vrai que c’est assez gênant de déposer une lettre sur une bite plutôt que sur un bureau : kalu, huonekalu. Je voulais être plus rapide. pillu, pulla, pilli - cul, brioche, paille. välittää, valittaa, valita. Partitif ou génitif ? - transmettre, se plaindre, choisir. Objet total ou objet partiel ? Amusant d’entendre les Finlandais s’adonner àl’anglais : bängeri, trendi, podi. Parfois je confonds pissu et pussi. Embêtant quand l’un veut dire pisse et l’autre sac. Et puis bon, faut bien se l’avouer, pussi ça rappelle pussy. Yks, kaks, kolme, neljä, viis. 

Texte 4  : 

parfois
elle traîne les pieds elle veut surtout pas y aller
parfois
j’voudrais lui hurler ‘t’avais pas le droit’
parfois
elle s’affale sur l’canap’ pour en tirer quelques unes
parfois
elle entend le ‘j’écoute’ qui fait grincer des dents
parfois
j’prends des calmants
parfois
elle dort pas plus d’quatre heures
parfois
elle accompagne et elle câline
parfois
on regarde un film
parfois deux trois films
parfois
elle boit son thé
parfois
la juge me dit ‘t’es sà»re ?’
parfois
elle sent la ménopause arriver
parfois c’est la fatigue qu’arrive.

28 mars 2024
T T+