Bertrand
Entretien Bertrand
« Est-ce que vous saviez que j’étais à 2L de whisky par jour ? »
J’ai eu deux alcools : l’alcool festif - normal quoi ! – avec le rugby, donc la troisième mi-temps. A partir de … 14 ans on commençait déjà à faire la troisième mi-temps mais c’était juste une ou deux bières, deux-trois bières mais c’était juste pour l’après match, avec les adversaires avant de voir les pros. Après je buvais normalement, j’étais coursier donc je n’avais pas trop le droit à l’alcool. Mais je fumais beaucoup de bédos, donc ça compensait. A 24 ans j’ai eu un grave accident de Vespa, mon ex compagne était enceinte donc là j’ai décidé de taper tous les concours fonctionnaires pour assurer un salaire : la RATP, La Poste, la Ville de Paris … Et c’est la Ville de Paris qui m’a pris en premier, donc je suis rentré à la Ville de Paris.
Et là, dès le premier jour, la tradition c’est que tout nouveau qui arrive à l…˜atelier paie son pot d’arrivée. Donc tu emmènes une bouteille de Ricard, tatati et tatata. Le pot se passe à l’atelier et tout le monde te dit « ça s’arrose, ça s’arrose ! ». Bon ben, ok, d’accord, on va faire ça demain midi. Donc on emmène de tous les alcools, pas beaucoup parce qu’on se sait pas trop comment les gens boivent, si on le droit, pas le droit, et comment ça se passe. Donc j’ai pris un minimum pour que tout le monde ait au moins deux verres à boire, avec des cacahuètes, des chips et tout.
Les jours d’après en attendant la benne, en attendant d’aller sur le marché, ou en attendant le top départ pour aller aux balais, on attendait, beaucoup d’attente à la Ville de Paris, donc pour passer le temps on prenait une bière, deux bières, trois bières, on avait tous des packs de bières dans nos casiers. On avait tous de l’alcool dans nos casiers, mais beaucoup de bières : de la Kronenbourg, de la 1664 au début, il y en avait qui avaient déjà leur bouteille de whisky ou leur bouteille de Ricard dans leur casier … Comme c’était autorisé dans un atelier il n’y avait pas de souci ! Les chefs en premier aussi avaient leur réserve. Et petit à petit, à force de boire, d’attendre… Et puis au bout de 5-6 mois, après avoir bu tous les jours, vraiment d’avoir pris l’habitude, - et pour passer le temps il fallait boire, s’occuper les mains - on a soif ! le corps a soif !
Donc chez moi, pourtant je ne buvais jamais chez moi sauf quand il y avait des amis ou vraiment occasionnellement, mais avec la mère de mes enfants on ne buvait ni vin, ni rien, c’était très rare qu’on sorte une bouteille pour les deux personnes, mais il n’y avait de l’alcool que quand il y avait des amis. Mais au bout d’un moment, au bout de 6-7 mois, c’est vite arrivé, j’ai été accompagné mes enfants à l’école – ma femme était enceinte du premier quand j’ai eu l’accident de Vespa et 3 ans après ma fille est arrivée. J’étais juste à la Ville de Paris et en plus quand j’y repense c’est vrai que 6 mois après c’est là vraiment que je suis tombé dans l’alcool parce que … J’ai fêté la naissance de Clémentine, donc là c’était un double truc, et comme après je connaissais la consommation des gens ce n’était pas le même apéritif que la première fois, là c’était l’apéritif fois 4 ! 4 bouteilles de vin rouge, 4 bouteilles de whisky et 4 de Ricard. Et les jours de week end décalés j’emmenais mes enfants et un jour je suis passé devant l’arabe et j’ai dit « bah tiens, je vais me prendre un petit pack ». Donc là j’ai pris un pack de 16 ou de Kro, j’ai fait le plein, et je suis monté, j’ai commencé à prendre une bière, j’étais bien, tranquillement, et en fin de compte j’ai pris 3-4 bières. Fin 5-6 bières. Et après j’ai tourné à la 86 parce que la Kro et la 16 c’étaient des petites bouteilles, la 86 c’était carrément des 0,5L et c’était un peu plus fort. C’était dégueulasse mais c’était un peu plus fort. Et puis pour la quantité de bière ça coûtait moins cher. Au bout d’un an je prenais carrément la palette de 36 bières et ça me faisait 2 jours. Ouais … peut-être une journée et demie, deux jours. Peut-être pas une journée parce que c’était trop dégueulasse, alors je la coupais avec de la crème de cassis pour pas avoir cette acidité, ce goût de fer de la 86. J’achetais une bouteille de crème de cassis toutes les semaines. Mais il fallait toujours que la bouteille soit au même niveau, parce qu’à la maison on faisait des kirs. Donc les petits repères c’était toujours pareil.
Mais avec tout ça il manquait quand même quelque chose, malgré toute la consommation, il manquait toujours quelque chose. Il y avait beaucoup d’anniversaires comme on était à l’atelier, donc là j’ai commencé à prendre du whisky, alors que je n’en prenais pas trop avant. Je ne prenais que de la bière car c’était moins cher et vite caché, vite foutu à la poubelle, et tu sais qu’au moins à la fin de la journée tout était bu et il n’y avait plus rien. Mais là je suis passé au whisky, j’ai commencé comme ça, mais toujours avec une goutte de coca et sans glaçon. Et après tu commences un verre, après deux, et après tu termines avec une bouteille par jour. Et moi j’ai finis avec deux bouteilles par jour.
Deux bouteilles par jour de whisky, pendant 4 ans, plus toute la consommation que j’avais à l’atelier où ça pouvait aller jusqu’à dix bières, plus l’apéro du midi, et même si j’étais vraiment fracasse, je suis jamais tombé, j’ai jamais parlé bizarrement, j’ai jamais eu les yeux rouges, j’ai toujours eu mon Vespa qui m’emmenait au travail et me ramenait chez moi, j’ai jamais eu d’accident grave dû à l’alcool, je suis jamais tombé, personne ne l’a vu. Personne ne l’a vu, même mes collègues, même ma famille, mon ex-compagne, même mes enfants, auxquels je commence vraiment à en parler pour savoir si vraiment ils le savaient ou ils ne le savaient pas. L’alcool, l’alcool, l’alcool …
Ça a été vachement rapide. Je suis rentré à la Ville de Paris en 96 et j’ai eu ma première pancréatite en 2001. Parce que je suis entré à l’hôpital en francs, je suis ressorti en euros. Donc ça veut dire que mon alcoolisme ça a été en 5 ans. Sachant que j’avais des collègues, eux depuis 15 ans, 16 ans, 17 ans, ils n’ont jamais rien eu et qui sont encore vivants. Il y en a beaucoup qui sont morts. J’ai dû connaître 500 collègues dans tout Paris et dedans j’ai 80 collègues qui sont morts par l’alcool. Poumon ou cancer de la gorge mais la cause première c’était l’alcool.
Celui qui ne buvait pas il ne pouvait pas rentrer dans un atelier. C’était vraiment le mec bizarre, rejeté de tout le monde, c’était le mec qui demandait à changer d’atelier en permanence. Tu as les éboueurs comme moi qui sont entrés après un accident de travail pour assurer leur vie, pour avoir le salaire à chaque fin de mois, après tu as les vrais éboueurs qui avaient déjà 10 ans, qui n’avaient pas de diplômes, il y avait encore tous les africains que de Gaulle avait fait ramener d’Afrique pour nettoyer les poubelles, pour nettoyer Paris. Et dès qu’ils étaient à la retraite ils rentraient au pays et ils mourraient. Ca pour nous c’était aussi une cause d’apéro, pour la mort d’un collègue.
Toute cette période là des 5 ans, que ce soit en réunion de famille, en vacances, il me fallait minimum mes deux litres de whisky. Donc quand je partais en vacances j’avais toujours des stratagèmes, que ce soit en location, en tente ou en mobil home, déjà je partais, dans la voiture j’avais toujours deux litres de whisky coincé dans les bagages, c’est moi qui faisais les bagages parce qu’on habitait au 3ème .
Donc je descendais les bagages avant de fermer la porte et de partir en voiture. Je cachais mes bouteilles avec les bagages. Et quand on arrivait au mobil home c’était direct dessous le mobil home parce que je savais que personne n’allait aller dessous, tellement c’est crade, il y avait des araignées, des tas de trucs, donc personne n’allait regarder dessous. Tout en sachant que quand on arrive dans une nouvelle ville on a les yeux qui regardent à droite, à gauche, on cherche un commerce, on regarde s’il y a des supermarchés, s’ils ne sont pas trop loin, bien repérer, calculer le temps pour chercher une excuse pour l’avenir, parce qu’on est un manipulateur, on sait exactement quel temps il faudra et donc dans le laps de temps sortir n’importe quelle excuse. Soit aller au tabac, partir faire les courses … Par rapport à la sortie pour aller chercher de l’alcool on inventera forcément une autre chose, selon la durée.
Quand c’étaient les fêtes de famille par contre j’étais toujours autour du barbecue et j’avais toujours ma bouteille en cachette. Personne ne le voyait, ou alors peut-être qu’ils le voyaient mais en tout cas personne ne me l’a dit. En même temps dans les fêtes de famille tout le monde buvait : c’est festif. Dans ma famille, je ne connaissais pas beaucoup la maladie de l’alcoolisme, il n’y avait pas trop de personnes qui buvaient comme alcooliques. Les gens buvaient vraiment pour la fête, ils buvaient peut-être un verre pour accompagner un repas mais je ne pense pas qu’il y ait eu vraiment des alcooliques. Moi je n’en ai pas connus, ou soit j’ai pas fait attention, même avec le regard d’un alcoolique, mais je n’ai pas eu de repère. J’ai eu un cousin qui était alcoolique, je l’ai su parce qu’il me l’a dit et qu’on a fait des dégâts ensemble, mais autrement …
Moi ça n’a pas du tout été comme beaucoup de gens suite à un divorce, suite à un problème d’argent, suite à une dépression, parce que là j’ai un beau-frère qui est en dépression et qui est alcoolique, il est dans le déni. J’essaie de lui parler mais bon … pour lui il ne boit pas, il peut s’arrêter 5 jours sans boire un verre … la dernière fois il nous a dit : « je bois pour dormir ». Il est vraiment en dépression, il n’ouvre pas son courrier. Mais en fin de compte moi je n’ai jamais bu pour oublier. J’ai bu pour être intégré dans une équipe de rugby, dans un atelier de balayeurs, tout en sachant que je n’étais jamais le dernier ! J’ai toujours été la personne … si je n’étais pas là il n’y avait pas d’ambiance. J’étais le « chef » du rugby, le « chef « de mon atelier, quand je n’étais pas à un match ou à un entraînement ce n’était pas pareil, il n’y avait pas la même ambiance. A l’atelier c’est pareil. Quand je n’étais pas avec mon groupe il n’y avait pas la même ambiance. On était très fidèle, mais ce n’était pas mes amis, je n’ai jamais eu d’amis moi. J’ai choisi mes copains mais les amis … maintenant je commence à en avoir certains qui deviennent des amis mais avant 2016 j’ai jamais eu d’amis. J’ai eu des copains mais je ne les invitais pas trop parce que je ne savais pas du tout s’ils venaient avec leur compagne, s’ils buvaient devant leur femme… on ne parlait jamais de l’alcool. Donc si je les invitais je ne savais pas s’ils allaient picoler à fond ou pas du tout, s’il n’y allait pas avoir une embrouille ou une chose à dire qu’il ne fallait pas dire …
Moi l’alcool ça ne m’a jamais mis en dépression, ça ne m’a jamais fatigué, j’étais toujours au boulot à 6h du matin, le soir j’allais chercher mes enfants, je préparais à manger, je faisais les devoirs, pour moi c’était naturel. J’ai jamais eu de tremblements, ça ne m’a jamais foutu en l’air. Pour moi on vivait avec 2L d’alcool. Je voyais des gens complètement bourrés qui ne tenaient pas l’alcool, mais si je voulais être un petit peu bourré ou gai, j’avais toujours mes 2L de whisky, mais un Ricard et là j’avais la sensation d’être bourré. Avec un Ricard ! Mais sinon j’étais complètement normal et personne ne voyait que j’étais alcoolique. Mais si je prenais un Ricard la personne elle me disait « tiens, toi tu as bu un verre ! », « ouais j’ai bu un verre, ça fait tellement longtemps, ça m’a tourné la tête ! ». Avec un Ricard … Mais d’ailleurs maintenant le Ricard, l’anis et tout ça je ne peux pas. Dès que quelqu’un ouvre une bouteille de Ricard ou qu’il y a de l’anis je ne peux pas passer à côté et ça m’écoeure. C’est une odeur que je ne supporte pas. Bon chez nous il y a toujours des buveurs de Ricard mais ça me dérange un peu, sans que je le dise. Chez nous, pour ramasser les verres à la fin de l’apéritif, c’est toujours ma femme qui les ramasse. Moi je n’y touche pas. Ça pue trop. Je ne supporte pas l’odeur. Mais pas par rapport à l’alcoolisme, mais par rapport au goût. Hélène, ma femme elle a compris, c’est elle qui prend les verres et les mets dans le lave-vaisselle, je ne veux pas y toucher.
Moi je n’ai jamais fait de rechute. J’ai eu 5 ans d’alcoolisme, de 1996 à 2001, ce qui fait 5ans et demi. J’ai eu ma première alerte pancréatite le 25 décembre 2001, je crois que c’est l’année où les francs ont changé en euros. Et j’ai eu que ça, pendant ces 5 ans. La première année c’était beaucoup d’alcool mais c’est à partir du milieu 1997 qu’il me fallait mes deux litres de whisky. Et ça pendant … on va dire 3 ans et demi.
Première alerte au mois de décembre. J’étais au boulot et là j’ai eu mal au ventre. Je connaissais quand même un peu les crises pancréatites parce que mon père en avait eues alors que ce n’est pas un alcoolique. Donc en 2001 j’ai mal au ventre et je dis à mon collègue « j’ai mal au bide, je vais aux toilettes ». Sur le chemin, quand je retourne à mon atelier je tousse et je gerbe du sang. Waouh ! Là c’est chaud ! Je vomissais du sang. Aux toilettes j’ai chié que du sang. Je me suis allongé un peu, mon chef il m’a dit « ouais tu es encore bourré d’hier, va travailler ! ». Mais je lui dis que je ne pouvais pas, qu’il fallait que je m’allonge. Le matin même j’avais pris la voiture. Pour aller au travail je n’avais pas pris mon Vespa parce que je devais prendre un copain pour aller travailler. En fin de matinée je dis à mon chef que vraiment je ne peux pas, sauf qu’il fallait que je ramène la voiture à la maison pour ne pas que ma ex compagne vienne la chercher. C’est moi qui l’avais amenée donc il fallait que je la ramène. Donc je ramène la voiture, plié en deux. Ma femme me demande ce qu’il m’arrive, je lui dis que je ne sais pas, que j’ai vraiment mal au bide. Elle appelle le médecin, urgence, sos, etc. Il m’ausculte, il me tâte, il me dit « vous avez pris une bonne cuite, vous avez mal au ventre », tout en sachant qu’il m’a quand même fait une piqûre de morphine pour descendre la douleur et il m’a fait une lettre de prescription en me disant que si dans deux heures la douleur était toujours là il fallait que j’aille aux urgences directement. Deux heures après : super mal encore. Donc je pars aux urgences de la Salpêtrière. A la Salpêtrière c’est là qu’on m’a dit : « vous buvez ? ». Je dis que je bois comme tout le monde mais il me dit « bah non vous ne buvez pas comme tout le monde puisque vous faites une crise pancréatite, c’est quand même grave. On va vous passez en chambre ». Donc ils m’ont branché partout et pendant trois semaines j’ai pas mangé, pas bu parce qu’il fallait que le pancréas ne bouge pas. Ils m’ont dit après trois semaines de soins intensifs qu’il y avait eu une coulure et que si elle touchait le foie je mourrais. Et la coulure elle s’est arrêtée à 1mm. Ah ouais quand même c’est chaud ! Mais j’étais encore dans l’inconscience : c’est bon mon père il a fait trois-quatre crises, peut-être pas aussi fortes mais bon, ça va aller ! Après putain j’avais faim, j’avais soif ! Je demande à l’infirmière pourquoi est-ce que le voisin il a un plateau repas et moi j’ai toujours rien, je suis nourri par la sonde … Elle me dit « vous savez, je préfère être dans votre situation que celle de votre voisin de chambre ». Le lendemain matin je me réveille, je regarde à droite : plus personne à côté. Oh il a dû partir ! Je demande à l’infirmière « il est où le collègue ? » « Bah vous voyez, hier, le collègue il a mangé son dernier repas ». Et là tu te dis wouah ! c’est quand même chaud ! Je ne vais pas remanger tout de suite. Et au bout de deux semaines je suis sorti.
J’ai repris mon taff, tranquille, sauf que voilà, j’allais changer d’alcool. J’étais toujours alcoolique parce que j’ai continué à boire, mais par contre j’ai complètement changé d’alcool, je n’ai bu que de la bière. Un petit peu des fois un verre de whisky, mais très très peu. Je tournais à 5-6 bières par jour. Tout en sachant que je me suis quand même fait un coup de flip dans la tête en me disant il faut vraiment que tu arrêtes parce que tu as 33 ans, l’âge du Christ quand il est mort, tu as deux mômes, donc vas-y, arrêtes un petit peu ! Donc je buvais mais tranquillement. Journalier mais toujours de la bière et/ou autres. Et ça a été.
Par contre en 2005, en 2007, en 2008 j’ai quand même fait des crises pancréatites à retourner aux urgences. Ils me disaient toujours la même chose, je buvais toujours régulièrement mais je descendais ma consommation. Il me fallait … on va dire 2 bières, 3 bières. Mais je buvais tous les jours, tout en sachant que les crises pancréatites c’est super dur à supporter. C’est l’équivalent d’une femme qui accouche mais pour les alcooliques.
J’ai parlé il y a deux-trois semaines à Hélène en lui disant quand même qu’il fallait que je fasse une réunion à la maison pendant l’été et que je demande « est-ce que vous saviez ? », « est-ce que vous saviez que je buvais deux litres de whisky par jour ? ». Mais à chaque fois que je leur dis : « Non… C’est pas possible ! ». Même mon père qui était un bon buveur me dit que c’était pas possible. Ma sœur pareil. Et mes collègues : « non mais c’est pas vrai, tu étais là tous les matins à 6h derrière la benne, ce n…˜est pas possible ». Mes enfants je leur ai dit, ils ont compris maintenant que l’alcool c’était dangereux. Ils ne m’ont pas connu alcoolique parce qu’ils étaient jeunes, ça ne se voyait pas, j’étais toujours occupé avec eux, il n’y a jamais eu de problème ni rien, j’étais un petit papa joyeux, toujours présent pour les enfants, toujours à la sortie d’école avec les croissants, les patins à roulettes, les trottinettes, etc.
Quand j’ai rencontré Hélène, ma jumelle , même jour, même mois, même année, elle était sous morphine, bédo, alcool, mais pas alcoolisme, pour sa douleur , sa douleur à vie que très peu de gens comprenne pour son genou détruit définitivement. Moi j’étais encore un petit peu bière. Mais c’est vrai que quand il y avait des anniversaires je buvais. Whisky et tout ça mais pour être gai. Un petit Ricard pour être speed un peu comme tout le monde. Et donc en 2010 super crise de pancréatite mais c’était pas comme une pancréatite, pas tout à fait les mêmes symptômes. Je vais quand même aux urgences à Montsouris et là par contre j’ai eu un kyste qui a explosé au pancréas. Je suis resté en soins intensifs et là j’ai compris que c’était stop, qu’il fallait que j’arrête. Là, ça y est, le pancréas il n’en peut plus.
Je ne sais plus combien de temps je suis resté à l’hôpital mais je sais que ça m’a sevré. J’étais sevré. Ils m’ont sevré là-bas peut-être, je ne sais pas, avec du valium, je ne sais pas. Mais je suis sorti, et ma femme connaissant mon problème d’alcoolisme m’a dit stop. J’étais allé voir mon médecin traitant qui ne m’a jamais pourtant parlé de mon alcoolisme, alors qu’il savait que je buvais. Je suis sorti en 2010 de l’hôpital et j’ai décidé d’aller au groupe de parole du Kremlin Bicêtre. La première fois j’ai un peu flippé donc j’ai pris une bière pour … Et après je suis resté au groupe de parole et je me suis dit « non mais il faut que tu arrêtes, parce que là c’est chaud ». Deuxième groupe de parole, troisième groupe de parole, et après CLAC ! Je suis repassé devant l’arabe auquel j’avais acheté ma dernière bière, j’ai regardé et je n’ai même pas eu l’idée de m’arrêter, même pas l’idée de prendre un verre. Du jour au lendemain ça a été clair et net.
Par la suite je faisais les courses, je voyais de l’alcool un peu partout, dans toute la bouffe et à part le vinaigre de vin que je m’autorise, toute alimentation avec rhum, etc. je ne peux pas, je ne peux pas l’acheter, c’est dans la tête. Mon médecin, mon psy il me dit qu’on est 2% d’alcooliques à réagir comme ça. Et en 2016, début 2016, alors que ça faisait 6 ans que je n’avais pas bu, rien, pas mangé non plus, parce que dès que j’ai un doute, même si la personne me jure sur sa tête, si j’ai un doute, même dans les gâteaux, je ne peux pas. Je ne peux pas. Mon bras il ne peut pas.
Et en 2016 : mal au bide. J’étais suivi quand même, tous les ans j’avais une IRM pour suivre l’état du pancréas, et en 2016 je retourne voir mon docteur et je lui dis que c’est quand même bizarre, j’ai mal. Prise de sang, il me donne un peu de morphine, et février encore une crise, je retourne à l’hôpital, je suis resté deux trois jours et les gens voyaient que je n’avais pas bu par rapport aux analyses sanguines. Ils me gavaient de médocs pour me calmer, mais quand même au mois d’août j’ai eu mal et c’est là qu’ils m’ont dit que c’était grave, que le pancréas était complètement attaqué et qu’il fallait faire une dérivation. Donc ils m’ont fait une dérivation, ils m’ont opéré, super mal, je me suis retrouvé en soin intensifs. Trois jours après mon médecin rentre dans ma chambre et il me dit « Yes ! ». je trouve ça bizarre parce que je suis quand même resté un mois, quand je suis rentré je faisais 80kg et en sortant plus que 50kg, mes premiers pas c’était en déambulateur, je faisais même pas 30 mètres, je voyais tous mes os, j’étais un cadavre quoi ! Et j’ai surtout vu ça par rapport aux yeux de mon entourage et surtout de ma fille qui m’a vu … Trois semaines après et en faisant 50kg elle a craqué.
Puis j’ai été voir mon médecin et je lui ai demandé pourquoi il a dit « Yes ! » quand il est rentré. Il m’a dit « parce que je ne savais pas si j’avais réussi ou pas réussi, puis j’ai vu que ça avait fonctionné et que vous étiez sauvé. Autrement vous ne seriez pas encore là. »
J’aimerais bien interroger les gens pour savoir si leur attitude envers moi a changé. Certaines personnes, pour voir s’ils savaient que j’étais alcoolique. Avant j’étais comme une assistante sociale, tout le monde venait vers moi, un souci : ils venaient vers moi. Et toutes ces personnes là je ne sais pas si elles savaient que j’étais à deux litres de whisky par jour. A mon ex-femme je n’en ai jamais parlé donc c’est pour ça que prochainement je vais faire une petite réunion de famille. Parce que même avec Hélène ma femme on en a parlé et en fin de compte depuis que je suis à Bichat, patient-expert c’est vrai que ça me trotte dans la tête. Et là je vais vraiment leur demander un jour : « est-ce que vous saviez ? ». Je sais qu’au mois de septembre je connaîtrai la vérité sur les gens. Mes parents viennent de fêter leurs 80 ans tous les deux et je vais aussi leur demander. Alors même que je leur ai déjà dit j’ai bu, je suis alcoolique, mais je ne sais pas … ils zappent où soit ils ne veulent pas m’en parler, ou soit ils n’osent pas dire qu’ils savaient et qu’ils ne pouvaient pas m’aider… je ne sais pas du tout ! Parce que ce n’est qu’en 2010 que le mot alcoolique est venu dans ma famille. Et après par contre pas de rechute, pas de cure, pas de suivi médical, personne ne m’a conseillé, personne ne m’a accompagné voir un addictologue … Parce qu’ils n’ont pas tilté, parce qu’ils n’ont pas dû connaître l’alcoolisme ou quelqu’un qui est mort par l’alcoolisme, par l’alcool. Peut-être le frère de ma mère, paraît-il qu’il est mort noyé à cause de l’alcool. Mais je ne sais pas j’étais trop petit pour le savoir. Mais voilà, je pense qu’ils étaient complètement ignorants du mot alcool, de l’alcoolique. Pour eux je pense l’alcoolique c’était le clochard qui était dans la rue et pas quelqu’un qui se lève tous les matins, qui va travailler à 6h, qui n’a pas d’absence, toujours poli, jamais d’agressivité, ni rien. Et ça c’est vraiment une question dont je veux la réponse. J’ai hâte d’y être à ce jour-là. Pour réunir un certain nombre de personnes. Et ça va me faire rire parce que ça va me faire penser aux groupes de parole. Je vais leur dire : bah voilà, c’est ça, j’ai une question et je suis à votre écoute. Vous voulez parler, vous parlez, vous ne voulez pas parler… mais dites la vérité. Ça va m’aider pour mon futur. Ma principale occupation maintenant c’est aider les autres et voir comment réagir et si les gens sont francs. Même si c’est la famille ou des potes.
Je suis parti faire l’armée à Djibouti et avec ma grande sœur, qui a 6 ans de plus que moi qui s’occupe du petit café, qui s’occupe des pauvres, elle était avant dans le milieu du spectacle. J’avais très peu de rapport avec elle, mais au bout d’un moment j’ai changé, elle a changé, on s’est réuni. On a été voir des spectacles ensemble et puis après je suis parti à Djibouti. Et là elle me disait « mais putain Bertrand, écris ta vie, écris tes expériences, parce que tu me parles de tellement de trucs que tout ça il faut le mettre sur un papier ! ». Et plusieurs fois je me disais qu’il fallait que j’écrive, et même quand je travaillais à la ville de Paris, il y a trop de choses à faire découvrir, trop de choses à partager.
Après je suis allé aux patients experts et il y avait un mec avec de longs cheveux, il y avait pas mal de filles qui étaient autour de lui, c’était la star. Moi je ne lui ai pas trop parlé mais trois mois, quatre mois après je reçois un mail de sa part et Andréas me demandait d’aller dans le groupe ! Wouah ! C’est rigolo ça ! C’était un truc que je voulais faire alors j’ai dit oui tout de suite. Cette rencontre m’a fait vraiment du bien et quand j’ai dit ça à ma femme, à ma sœur et à mon entourage, ma sœur elle m’a dit « mais putain ça fait trente ans ! Tu n’as pas un don mais tu as trop de choses à partager, trop de trucs à raconter et c’est vraiment ton truc à toi ! ». C’est vrai que moi je ne suis pas trop lecture, je suis toujours speed, il faut toujours que je bouge en permanence, je ne sais pas me reposer, je ne sais pas dormir. Maintenant j’ai un peu un autre regard sur la littérature. Le livre il m’apporte des choses. Je ne pensais pas qu’il y avait autant de différences dans les gens par rapport à l’alcool. La différence de boire, la différence sociale entre les bourgeois, les paysans, les avocats, les balayeurs. Tout le monde a sa propre histoire, personne n’a le même commencement pour rentrer dans l’histoire. Pour moi personne ne rentre dans l’alcool pour la même raison. On attrape la grippe à cause du virus mais l’alcool, malgré le fait que ce soit une maladie, on ne rentre pas dedans de la même façon. Et le livre c’est un soutien. Je ne suis pas écrivain, on est un groupe, on raconte, ça se passe super bien, il n’y a que des gens francs, il n’y a pas de mensonge, pas de tricherie. Il y a de la tricherie à la rigueur parce que c’est de la littérature et qu’on peut inventer des choses, mais on sait quand même à la base s’il y a triche ou pas triche. On connaît tous l’alcool, on connaît les dégâts, les expériences, et il y a des trucs qu’on ne cache pas, qu’on ne peut pas cacher. Même si on n’a pas la même entrée on a tous les mêmes délires, et il y a quelque chose qu’on a tous en commun quand même.
Je ne me prends plus la tête, je ne vis que demain, le passé me sert d’expérience, pour aider les gens qui veulent s’en sortir...
Et ouais, c’est ma philosophie, ma nouvelle vie.