Bruno Allain | Dévisager
Obligés
avec la pandémie
nous avançons masqués
J’ai du mal avec ça
Je suis un homme de théâtre
Le masque est un révélateur
Il proclame ce que la parole ne dit
ou tente de cacher
Mettre un masque est un rituel
Il ne laisse pas le porteur indifférent
Je me souviens de séances de travail au Théâtre de la Tempête avec Philippe Adrien lorsque telle actrice ou tel acteur soulevait son masque à l’issue d’une improvisation : elle ou il montrait un visage d’une incroyable authenticité
juste une seconde avant que celui-ci ne laisse place à la convention sociale
Démasqué
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Aucun rituel
Aucun symbole
Le masque chirurgical n’est que protection
Il soustrait
Or
L’identité est affaire de visage
J’arpente la ville
Je ne sais qui je croise
Même les regards semblent virtuels
Je me sens déshumanisé
Dépossédé du nous
Nos vies ne résument pas à la santé
Elle est une composante
sans doute
de l’élan à être
mais ce n’est pas la seule
Loin de là
Je comprends la nécessité
mais la vigilance est de mise
A nous masquer
le péril est grand
aussi.
Depuis une vingtaine d’années
je travaille en arts plastiques
sur le visage
ce n’est pas un hasard
Les ombres y décrivent des formes inouïes
singulières à chacun
Je m’en suis inspiré pour développer un langage
"visagier"
J’ai ébauché un dictionnaire et une grammaire
Juste une ébauche
Je n’irai pas plus loin
Je préfère ainsi
Laisser du flou et de la marge à l’interprétation
Quelque chose alors s’écrit qui m’échappe
Et voilà que, à mon tour,
peut-être
j’avance masqué
Mais là ça me va.