Délibération du Prix littéraire de la Porte Dorée 2023

Dans le cadre de ma résidence, j’ai eu l’honneur d’être nommée comme membre du Jury du prix littéraire de la Porte Dorée 2023. Le jury était composé des membres suivants : Mohamed Mbougar Sarr, Président du jury, Cloé Korman, Christophe Boltanski, Camille Diao, et deux élèves des lycées associés à la délibération, Manon Burlaud (Etablissement Pierre Gilles de Gênes) et Océane Montgermont (Etablissement Elisa Lemonier).

Les livres en pré-sélection étaient les suivants.
Bleu Nuit. Dima Abdallah. Sabine Wespieser
Attaquer la terre et le soleil. Mathieu Belezi. Le tripode.
Porca Miseria. Tonino Benacquista. Gallimard
Les gens de Bilbao naissent où ils veulent. Maria Larrea. Grasset
Un homme sans titre. Xavier Le Clerc. Gallimard
Stardust. Léonora Miano. Grasset
Tenir sa langue. Polina Panassenko. Éditions de l’Olivier


Rencontre avec les lycéens associés à l’événement.

Dans une grande salle du musée national de l’Histoire de l’Immigration, les voilà qui arrivent et s’installent aux tables disposées en cercle. Deux classes entières soit plus d’une quarantaine d’élèves qui ont lu les sept titres précédents et qui devront choisir un titre à défendre lors de la délibération. Des textes denses, exigeants, des langues variées, des univers distincts, des intentions singulières. Dès lors, quels critères mettre en œuvre ? Sur quoi orienter la lecture ? Que retenir d’un texte, lui donnant la primauté ? La discussion fut riche. Quelques conseils donnés : lire avec un crayon, souligner, annoter en marge, résumer en fin de lecture. Disperser des signes, çà et là pour mémoriser les passages marquants qui serviront par la suite de poids sur la balance. Une discussion fut menée sur la véracité du texte : une histoire est-elle plus poignante qu’elle est vraie. Un élève insistait sur le fait qu’une histoire inventée, c’est comme un fake, on s’est fait avoir et on a pleuré-ri pour rien en fait. C’est pas faux. On a pleuré et ri pour rien, et c’est ça qui est beau. Parce que l’imagination mène au même endroit, tape dans le même cœur, en épargnant finalement puisque ce n’est pas pour de vrai, en amplifiant surtout parce qu’il n’y a pas à s’encombrer du vrai.

Les élèves auront fait leur choix. Un texte par classe. Un représentant de la classe sera présent à la délibération pour défendre le choix collectif. Les arguments avancés dépassent très largement le j’aime/j’aime pas. Les élèves produiront de véritables analyses, des choix circonstanciés, des arguments littéraires. Ils ont effectué un travail précis en dignes amateurs de littérature et se montrèrent de véritables interlocuteurs lors de la délibération.


Petit texte envoyé aux membres du Jury à l’issue de la délibération du 12 mai 2023.

J’ai adoré vous entendre défendre les textes qui vous ont touchés, écarter les autres, faire la part des choses, reconnaître ce qui oui et démettre ce qui non… J’aurais pu échanger avec vous durant des heures (ce que nous avons fait) et pendant plus d’heures encore… Mais l’heure s’est invitée, la malaisante, et il a fallu s’y coller. Choisir. Détacher. Désigner. Ecarter. Avancer.
Je vais vous le dire tout de go. Ça m’a un peu sonnée.
Et j’ai passé la soirée (que j’avais fort heureusement laissée libre) à me repasser les ouvrages en tête, à me désoler pour les livres non retenus, à me réjouir pour l’autrice distinguée, à regretter des propos, à en assumer, à me refaire le film…
Je ne savais pas que lire en perspective d’un prix m’engagerait dans une relation intime et forte avec les titres parcourus. Des oui ! des non ! des Aaaaah !
Je ne savais pas que délibérer était un tel délice.
Je ne savais pas que choisir était un tel supplice.
Si seulement je l’avais su.
Si j’avais su que
Post deliberatum, animal triste.
J’ai déambulé le soir dans les rues de Paris, 
et, passant devant un théâtre dans lequel les spectateurs s’engouffraient à la sonnerie retentissante,
allez savoir pourquoi, j’ai pris un billet.
À peine assise,
la pièce commence.
Et le personnage parle en allemand.
Autant dire que j’avais l’impression que c’était à moi qu’il parlait.
Puisque depuis que je vis à Zurich, le théâtre parle allemand.
Un des personnages donc parle en allemand.
Et se déroule un dialogue loufoque et poétique sur la lutte contre la pesanteur.
La vie est si belle quand on sait écouter ce qu’elle a à dire.
J’ai remballé ma nostalgie post délibération.
Savouré ce plaisir d’avoir, avec vous, donné à un texte la chance de connaître ce moment d’apesanteur que le Prix de la Porte Dorée saura lui offrir.


Le Prix littéraire de la Porte Dorée a été attribué à Polina Panassenko, pour son texte Tenir sa langue aux éditions de l’Olivier.

7 juillet 2023
T T+