En train (extrait)

Gare de Lyon

En gare de Lyon les usagers s’en vont s’en viennent, c’est incessant. Les voir valser, me voir sombrer, moi sans savon, eux si pressés. C’est insensé.
Assis, contraint et accroupi, j’ai mal aux reins d’avoir dormi sur mon tapis. Je suis au sol et suis au ras. Ni je ne vais. Ni je ne viens. Je vois, je vis, mais n’attends rien. Et je suis seul avec les rats.
Les trois objets de ma vie en poche, je suis ici et je suis cloche.
Je crèche toujours dans mon quartier. Toujours le douze et la Bastoche. Vers les arcades, làoù c’est moche. Derrière les quais, làoù ça craint, ils aménagent de vieux wagons. Parfois j’y vais. Je connais tout le monde. En gare aussi. Même alentour, mais ça me déprime. Hier tous me saluaient. Aujourd’hui plus. Il suffit de se tenir quelques temps àbonne distance des douches, rester au sol et empester l’alcool pour s’effacer des mémoires collectives. Je fais partie de la horde de ceux qui hors les trains ne sont plus rien. On m’appelle l’artiste. J’écris, je peins. J’étais mondain. Il doit me rester quelques notions, quelques souvenirs.
J’accuse un coup dur. En fait, plusieurs. Une réaction en chaîne. Un ticket pour la rue comme on dit entre nous.
Un R.E.R : Rupture. Expulsion. Renvoi. Trio magique, on ne s’en remet pas. Le bruit du pas, qui vient, qui va, c’est ma petite musique àmoi.
Besoin de ce temps seul, entouré d’inconnus. Je me sens sale et puis je pue. Je dois me plonger dans un bain et dans le passé. Me laver de la crasse et de l’hier. Mettre de l’ordre dans mes affaires. J’ai une clé. Elle ouvre un débarras. Là-bas est l’héritage de mon père. Je dois y aller. Ensuite je prendrai un train. N’importe lequel. Je partirai. Repartir. Nouveau départ. Pour l’heure, en gare encore assis et indécis. L’insertion m’angoisse et me questionne. Et puis j’aime ce mouvement autour de moi àvoir tout ceux qui n’ont pas le temps. Je l’ai pour eux. Enfin je le crois. Du moins je le veux. J’écris. Je griffonne. En magenta. Sifflote et croque, dessine leurs trognes. De mes journées, je ne fais que ça. Colore en vert, colore en bleu. Je dessine autant que je leur en veux.
Manière d’aimer mon prochain finalement. J’ai des soucis avec autrui. Il m’émeut et m’effraie àla fois. Pas comme les chiens. Eux ne trichent pas.
Mon parcours est jalonné de moments clés. Un événement en traîne un autre.



Une lecture publique d’extraits d’"En caisse" (Editions du Seuil) et de "En train" (écriture en cours) par son auteur Raphaë l Grillo, aura lieu samedi 21 mai 2022 à15h00 àla grange du domaine de Villarceaux, 95710 Chaussy.

16 mai 2022
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