Dialoguer en poésie avec les paysages parcourus - Itinéraire Poétique du samedi 16 octobre 2021
Promenade sur les berges de Seine et dans le parc de l’Île Saint-Germain...
...promenade. Se promener, je lis que c’est aller dehors pour prendre l’air, se distraire, flâner. La promenade a été pensée comme l’occasion de frayer avec la poésie en extérieur, en mobilisant le corps, dans un rythme voulant épouser les spécificités du paysage parcouru, avec lesquels les prises de parole se veulent également un dialogue constant.
Surprise inaugurale et symbolique du pont. La marche est essentielle pour lancer l’échange sous les auspices du mouvement. Elle s’interrompt, très tôt, sur un pont, après seulement quelques mètres sur le sentier. Des citations d’auteurs de tous pays sont lues aux promeneurs qui m’accompagnent. Mélange de vers et de prose, de René Char à Amanda Sthers en passant notamment par un proverbe turc ; leur point commun : l’évocation du pont, de la passerelle entre les choses, entre les êtres. Chaque citation est inscrite à l’encre noire sur une feuille d’arbre, déposée par l’automne et ramassée quelques jours auparavant sur le chemin qui nous accueille. Avant la lecture de chaque extrait, je prend la feuille dans ma main gauche que je lève pour que la lumière du soleil en traverse la fine membrane et qu’avec ses nervures, l’écriture sombre s’y révèle. Chaque feuille est offerte à une personne, en sorte de premier cadeau, une récompense pour leur écoute.
Table d’orientation botanique, couleurs, chiffres et hasard. Sur notre chemin, une table d’orientation botanique colorée répertorie sur une carte des variétés de plantes avec leur territoire. La zone a subi de nombreux réaménagements depuis la réalisation de la table et plusieurs parcelles de ces végétaux ont disparu. C’est une opportunité pour voyager dans un espace qui n’est plus. La classification et l’ordre sont visités par le jeu et le hasard : les plantes recensées sont associées à des couleurs et j’ai choisi plusieurs d’entre elles (indiquées par le jaune, le bleu, le vert et le rouge) auxquelles je fais correspondre un dé de la même couleur, avec la particularité que chaque dé possède un nombre de faces différent (dé rouge à 6 faces, dé vert à 8 faces, dé jaune à 12 faces…). Dans mes papiers, j’ai préparé plusieurs poèmes par couleur, chacun en rapport avec la plante choisie et devant être lus en fonction du résultat du dé que j’invite chaque promeneur à lancer après qu’il l’a pioché (à l’aveugle) dans une petite bourse. Estragon, armoise, camomille, lavande et angélique nous mènent à Guennadi Aïgui, Samuel Beckett, Valéry Larbaud, William Shakespeare, Pierre Louÿs, Robert Desnos et Théodore de Banville, selon les couleurs et les bifurcations déterminées par les chiffres au sein de celles-ci.
La Seine personnifiée. Halte sur un escalier pour une petite conférence autour du fleuve conçu comme une personne, permettant d’aller de la mythologie celte et du culte de Sequana aux décisions de justice et aux déclarations contemporaines, officielles ou officieuses mais toujours solennelles, proclamant des cours d’eau comme entités juridiques à part entière.
Débarcadère et vers d’un poème glissés dans des chocolats. Cap sur un débarcadère utilisé par les adeptes du canoë kayak et nouvelle pause, cette fois pour aborder la poésie du continent sud-américain autour de Pablo Neruda, Alvaro Mutis, Juan Manuel Roca… Le débarcadère est un port où les poètes, comme de vieux marins, nous racontent les découvertes de la langue. Distribution de chocolats en emballage individuel aux promeneurs avec, glissé dans chacun, un vers d’un poème de Jorge Luis Borges découpé en lambeaux. Puis, invitation à lire ces vers dans un ordre déterminé une nouvelle fois par le hasard, cette fois celui des goûts. Une intuition se vérifie par l’expérience : quel que soit l’ordre de lecture des vers, le poème, bâti sur une succession d’images, garde son unité, sa cohérence, son équilibre, sa force, sa beauté.
Sur une pelouse, suivre les méandres du temps avec une corde près de vieux murs. Les participants sont assis face à moi sur l’herbe fraîche ; entre nous, une longue et large corde blanche qui sera commentée, ramassée, pliée en deux, en cercle, en spirale, en hélice pour illustrer différentes conceptions du temps. Les poèmes d’Andrée Chedid nous accompagnent près des hauts murs des jardins clos.
Étape finale autour d’un arbre à troncs multiples avec la voix d’un poète venue d’au-delà les Alpes. Ayant demandé à mon ami poète italien Tiziano Fratus de m’adresser des enregistrements de lectures de ses poèmes, je fais découvrir aux participants, devant un arbre à troncs multiples, les méditations poétiques et les vers philosophiques de celui qui se nomme Homme Racine (Homo Radix).