Fin des rencontres avec les enfants
De retour à Tours, je repense à cette semaine passée à la ferme Godier et aux dernières rencontres avec des enfants de maternelle, accompagné de Tiphaine de la compagnie Issue de secours.
Avec Vincent, nous avons retrouvé nos deux classes de l’école Pasteur, des "grands" (4/5 ans) et des "moyens" (3/4 ans) en maternelle, et une nouvelle classe de moyens à l’école Langevin Wallon. Nous avons terminé les histoires inventées avec les premiers et nous avons inventé une nouvelle histoire avec les seconds.
En tout, quatre histoires ont été écrites avec les enfants : Petite Fleur et Petite Chouette, et Le Royaume de la pluie avec les moyens, et les deux histoires écrites par les grands : L’île des pirates et La maison abandonnée.
Je suis assez surpris de leurs histoires, l’imaginaire est plus riche et varié que ce que je pouvais imaginer. J’ai l’impression également de retrouver beaucoup de réminiscences d’histoires entendues ou vus.
En fait, à quatre ou cinq ans, les enfants ont croisé énormément d’histoires, ils ont déjà une "culture" littéraire très riche, d’albums, de contes, de comptines, de films... et tous ces éléments se mélangent dans leurs histoires, avec l’apport d’éléments quotidiens ou autobiographiques. On retrouve aussi la trace de leurs peurs ou de leurs angoisses. Tous les dangers du monde sont envisagés, et la mort est souvent au rendez-vous de leurs héroïnes et héros, comme pour s’en prémunir (sans trop savoir ce que ça pourrait être). Ils s’engagent très souvent dans le merveilleux ou le magique, mais ont réussi à respecter à peu près la contrainte que je leur avais imposée d’histoires "vraisemblables" (la séparation du "réel" et de "l’imaginaire" n’est pas si évidente pour les plus jeunes mais ils commencent à en être conscients).
Cette dernière rencontre a aussi été l’occasion de découvrir une classe dans une nouvelle école, située au cœur d’une cité de Villepinte. C’est très troublant de constater que déjà à trois ans des différences importantes existent. Les enfants ont plus de difficulté à s’engager dans les histoires, ils ont moins de "références" (cette "culture" littéraire des histoires qu’on leur a lues), ont plus de mal sur les enchaînements temporels et les causalités. Au final, ils ont inventé une très belle histoire (un royaume où il pleut tout le temps, où les plantes et les crocodiles pullulent, sauvé par un roi, sa reine, leur fille et un renard) mais certains parlent à peine ou ne comprennent pas encore le français et il faudra leur raconter encore beaucoup d’autres histoires...
C’était très important pour moi d’échanger avec ces enfants, de découvrir leurs imaginaires, de voir les spécificités de chaque âge et à quel point ils changent rapidement. Je travaille aussi en ce moment avec des crèches à Grenoble et je peux donc maintenant avoir une petite idée des transformations incroyables des enfants depuis six mois jusqu’à cinq ans. Beaucoup restera énigmatique et hypothétique mais je me sens un peu plus prêt à aborder ces âges dans l’écriture.
Je me sens aussi un peu plus libre sur les questions de compréhension par les enfants à ces différents âges et de me débarrasser de nombreux clichés et à priori : les enfants "sentent" beaucoup de choses qu’il n’est pas besoin de "comprendre", les enfants "comprennent" beaucoup plus que ce qu’on veut bien admettre, les enfants sont friands des mots, les nouveaux aussi, sans forcément en avoir la signification, sans que ça empêche leur compréhension globale dès lors que le contexte de leur apparition est pris en compte, des phrases un peu longues ne rebutent pas les enfants si on prend garde de ne pas les multiplier inutilement... Et tous les professionnels que j’ai pu rencontrer m’ont avoué être sans cesse en recherche et en réflexion, ou en doute, quant à ces questions. Les certitudes absolues de certains sur ce que doit être un texte "à partir de trois ans" me paraissent de plus en plus ridicules. Il y a des évidences, mais une fois écartés les écritures les plus inappropriées, il ne reste que des questions, que des tentatives, que des incertitudes.
Ils ont aussi beaucoup dessiné avec Vincent et nous sommes en ce moment en train de préparer les quatre petits livrets illustrés qui seront la trace de notre aventure commune. Avec les enseignantes et la compagnie, on espère que ces petits livres pourront être imprimés par la ville de Villepinte et donnés aux enfants. Sinon, ce sera plus artisanal mais il nous paraît important, pour finir ce moment, que chaque enfant puisse rentrer chez lui avec un objet écrit et dessiné par la classe.
Pour moi, la résidence se termine, mais pas mon travail d’écriture qui continue. On a réussi, malgré les difficultés liées aux confinements et aux changements de planning incessants, à maintenir la rencontre des enfants, à maintenir le contact pendant dix mois avec une classe (moyens en février et mars, grands en octobre et novembre), à inventer avec eux des histoires qui leur ressemblent. C’était un des enjeux essentiels de cette résidence et j’en suis très heureux.
Et voici quelques-uns des dessins qu’ils ont réalisés avec Vincent et qui seront des illustrations de leurs livrets. Quelques photos aussi des rencontres avec les enfants. Et voici aussi le début de l’une de leurs histoires :
Petite fleur a quatre ans, elle est encore dans la classe des moyens, Petite chouette a cinq ans, lui c’est un grand. Petite fleur s’habille toujours en orange, elle adore le orange, lui s’habille de toutes les couleurs de la terre et de la mer, il veut ressembler à l’arc-en-ciel.
Petite fleur a un papa tellement vieux qu’il n’a presque plus de cheveux, il les a perdus à force de conduire des trains trop vite. Petite chouette a une maman qui passe son temps à promener son nouveau bébé, Plume, qui ne répond même pas quand on lui parle et pousse des cris stridents quand on veut jouer avec lui ou pleure bêtement dès qu’on lui fait des grimaces.
La maman de Petite chouette et le papa de Petite fleur ont décidé d’emmener leurs enfants au zoo. Les deux amis sont ravis car ils adorent les animaux. Il n’y a pas école aujourd’hui et c’est un jour de fête. Pendant tout le trajet, Petite fleur et Petite chouette chantonnent sur le chemin, font des pirouettes, dansent au-dessus des pavés.
Ils discutent entre eux : « Demain il y a école. Et si nous profitions du zoo pour nous cacher et ne pas aller en classe demain ? » « Oh oui, il y en a assez de l’école. Quand les parents seront occupés à s’extasier devant les éléphants, nous courrons dans les allées, puis nous nous glisserons dans le petit bois de bouleaux, à côté de l’enclos des girafes. Il nous suffira d’attendre la nuit et le zoo sera à nous »...