Horticulture nucléaire (suite)
La commune de Bure se situe dans le département de la Meuse, à quelques centaines de mètres de la Haute-Marne. Région boisée, agricole, peu dense et marquée par deux grandes guerres. Dans les années 90, cette commune a été choisie par l’Etat français pour y implanter un laboratoire souterrain, à 500 mètres sous terre, et réaliser là une série d’études préalables à la création d’un site de stockage pour les déchets nucléaires à longue vie (80 000 colis radioactifs pour 100 000 ans). Les études et les autorisations sont en cours, mais l’opposition à ce projet est vive. En 2016, l’Agence nationale pour le retraitement des déchets nucléaires (Andra) a fait l’acquisition d’un bois (le bois Lejuc) pour y ouvrir la future zone des puits (colonnes d’aération et ascenseurs). Des centaines d’opposants au projet d’enfouissement s’y sont installés, pour être délogés par la police un an plus tard. Les abords de ce bois sont aujourd’hui surveillés et l’accès en est strictement limité. C’est ce terrain, en concertation avec Saloua Toumi, enseignante en paysagisme, que j’ai soumis aux élèves des classes de BTS 1 et 2 du lycée horticole Jeanne-Baret de Montreuil. Une forêt exploitée, divisée en lots, peuplée pour l’essentiel de chênes, de charmes et de frênes. Si le projet d’enfouissement voyait le jour, ce bois serait rasé et une grande partie des travaux s’y déroulerait pendant cent ans. La question se poserait alors de savoir comment recouvrir le sol, comment garder mémoire des déchets, comment préserver les générations futures du désir de venir creuser là. Problème que j’ai présenté aux élèves, en leur demandant d’imaginer ce que pourrait être ce paysage de marquage, de le dessiner, de le rêver, de le décrire, de le mettre en musique ou de le sculpter. A quoi ressemblerait-il ? A quoi servirait-il ? Que deviendrait-il ? Qui viendrait là ? De quoi garderait-on mémoire ? Ensemble de questions ouvertes auxquelles les élèves ont répondu à leur manière, avec leur sensibilité et beaucoup d’originalité.
Valentin a imaginé implanter une réserve naturelle de gorges-bleus, oiseaux en voie de disparition, qui voleraient librement sur la cime d’un massif de roseaux. Maceo a eu l’idée de dessiner un labyrinthe en forme de réacteur nucléaire. Méline voudrait mettre en place une fondation ou un musée des arts nucléaires. Chakib et Heni ont mis sur pied une société de préservation et de dépollution des sols dans la région. Charles Valentin a la vision d’un "paysage piège", plein de boues et de sables mouvants. Mélanie a mis en scène une forêt souterraine, fait pour être vue d’en haut, en marchant sur de grandes dalles de verre. Thimothée, après longues interrogations, en est arrivé à la conclusion que la meilleure solution serait encore d’implanter là un cimetière géant, unique - les morts et l’hommage qui leur est dû ôtant toute idée d’aller creuser plus bas. Julien, visionnaire, ferait sortir de terre un paysage insulaire, une réserve peuplée de lynx, de ginkos, de castors, de tortues, interdit à la visite, mais où quelques chercheurs viendraient faire des relevés. Alexandre a dessiné un lac géant, aux eaux phosphorescentes, dont la légende raconte qu’il abriterait un monstre formidable. Abdel Nour pense qu’un grand dôme végétal, haut de 15 mètres, serait la solution. Martin a sculpté des monolithes proto-archéologiques couverts de marques et d’écritures. Jason voudrait raconter le désespoir du singe écaille, et la reconversion du déchet nucléaire en médicaments pour boucher le trou de la sécu. Dans les mois qui viennent, ils vont continuer à rêver, à écrire et à dessiner, pour donner forme à leurs visions qui seront présentées au public en fin d’année.
Image : La "Zone bleue" vue par Alexandre, BTS 1 au lycée horticole Jeanne-Baret