Jeu de la fenêtre - Lola Perez

Les étudiants du master de création littéraire ont été invités à se mettre en rang devant une baie vitrée pendant une minute. Ils ont ensuite écrit ce qu’ils se souvenaient avoir vu. L’un d’eux, Lola Perez, a préparé ce dossier du « Jeu de la fenêtre »

Mathieu Simonet


Lola Perez - Master 1 de Création Littéraire - Atelier Géographie des émotions du 09/11/2018

Jeu de la fenêtre

Debout face à une fenêtre, nous avions une minute pour observer en silence à travers la vitre, puis deux minutes pour restituer par écrit ce que nous venions de voir.

Photo : Mathieu Simonet

Texte Libre – Lola Perez

Vendredi 09 Novembre 2018, salle 404, UCP. La consigne est donnée. Sourcils froncés, sourires malicieux, curiosité palpable. Nous sommes un éventail de réactions, « Oh non, la flemme », « Chouette, un jeu ! », « Qu’est-ce qu’on va encore devoir faire ? ». Nous devenons acteurs. En un souffle, se lever, aller devant la fenêtre, se tenir droit. Tous en ligne et côte à côte, le silence nous unit autant qu’il nous sépare.
Une seule minute, aucun bruit, tous nos regards. Qui scrutent l’extérieur, à travers le verre impassible de l’immense baie vitrée. Qui fusillent l’ailleurs, en recherche acharnée de détails dans lesquels s’évader.
Le sablier écoulé, nous reprenons nos places. Cette fois-ci, deux minutes. Sur sa feuille ou sur son clavier, chacun écrit, décrit, de plusieurs images s’est épris. Nos têtes à mille à l’heure. Crissement des crayons ou bruit mécanique des touches, les phrases s’enchaînent. Tour à tour, ceux qui ont fini se lèvent, géants patients et discrets. Ils surplombent ceux encore penchés sur leurs mots, qui accélèrent alors.
Puis, nos voix, parfois tremblantes parfois assurées, portent nos récits hâtifs aux oreilles des autres. C’est solennel et heureux. Assemblée illuminée d’une tiède aura de bienveillance, flottant dans la chaleur de ce mois de Novembre.

Textes des élèves

Je ne serai pas originale.
Je vois un bâtiment. Blanc. Je vois un arbre. Sans feuille. Je vois un rond point. Rond. Je vois des voitures. Qui tournent. Je vois une rue interminable. Je vois des nuages, un peu de soleil et je sens même le froid. Je vois une jeune fille qui marche et qui glisse dans la boue, juste en bas. Ils sont tellement petits, tous. Je vois mon reflet dans cette grande baie-vitrée et je vois le vide qui me terrorise. Je vois les secondes qui passent. Trop vite. Pas assez. Puis au loin, il y a chez moi. Derrière le bâtiment, derrière l’arbre, après le rond point, au-delà de la rue et des nuages. Il y a chez moi mais je ne le vois pas. Je ne peux que l’imaginer et attendre que ces secondes défilent encore plus vite pour m’y retrouver.

  • Claret Marie

Baigné de lumière, un jeune homme traverse l’esplanade. Il marche d’un bon pas vers l’entrée, à gauche, du grand bâtiment universitaire en arrière-plan. Il frôle maintenant le sommet d’une ombre, courbe en cet endroit, très large ensuite, qui descend jusqu’au pied de la tour où je me trouve. En face, sur toute la longueur du premier étage courent des rideaux beiges en accordéon, signe mystérieux résultant d’une volonté obscure ou d’impératifs budgétaires.

  • Philippe Mertz

Révolution systématique d’une grue mécanique

  • Nonnon Mathieu
  • Chloé M.

À l’horizon, il y a six grues. Certaines immobiles, d’autres en mouvement, tournant et se retournant au-dessus du Auchan. Le rond-point est comme un nœud difficile à défaire, et devant, le pont menant à l’université est foulé par des étudiants, des professeurs, de simples piétons. Le soleil est reflété par les fenêtres des bâtiments, et sous les drapeaux français et européen, deux amis rient. C’est une bonne journée.

  • Lise Renimel

Le passage des étudiants qui vont de la cafétéria aux escaliers, une grande place bétonnée peu empruntée qui s’oppose au terrain boueux, comme une sorte de recomposition du Brésil entre les quartiers riches et les favelas, ou l’influence de l’Homme et de la nature.

  • Maeva Gay

Un arbre trop coloré, de rouge et de vert, dans un trou rempli.
La poubelle au sac volant vers les têtes des gens.
Un étudiant tout en noir accompagné de sa malette.
Le panneau « les Chênes »
Un banc vide ; des toits blancs.
Le froid et le vent.

  • Léon Maylis

J’ai observé un arbre, un arbrisseau peut-être, aux feuilles rougies par l’automne et au tronc beige tacheté. Autour s’agitaient des étudiants qui attiraient mon regard, je n’arrivais pas à rester fixée sur l’arbre rouge. J’avais envie de regarder tout ce qui l’environnait. Mais il restait quand même au centre de mon attention avec sa couleur rougeâtre.

  • Anna Camilla

S’échappe une forme difforme d’un flou orangé posée sur un bureau derrière une mince fenêtre d’où ont dû suer 7h de travail, une pause et des histoires de collègues.
Une sorte de ferry sans mer.
Avec vue sur béton.

  • Nathalie B.ROGER

J’étais absent ce jour-là (et sur le tableau de Lola, mon nom seule ligne blanche avec cette mention : Absent). Je voulais venir et j’ai eu une conversation avec Jordan (Jordan est cette jeune femme, mon amoureuse durant près d’un an et demi). Nous avions pris pour habitude de nous mordre le nez durant de longues conversations, où nous nous accusions mutuellement de nos malheurs respectifs. Durant cette conversation, j’ai fini par lui dire d’une voix blanche que je ne voulais plus être en couple avec elle. Pas d’argument véritable, un simple vide de langage, comme si ma parole ne pouvait plus me sortir du trou de solitude dans lequel je m’étais embarqué. Et je repense au tableau de Lola ; absent.
Ces relations amoureuses ne me laissent pas de souvenirs. Elles sont passées au travers de moi comme l’eau la passoire. Fenêtre.

  • Dimitri Katsiapis

J’ai vu des gens marcher. Un monsieur avec un café à la main. Un poteau. Un monsieur qui semblait envoyer un message, il est resté longtemps debout. Un garçon avec une veste verte et une casquette. Un joli bout de papier argenté qui volait.

  • Maeva

Une colonne en béton armé entre deux blocs de béton armé accompagnés par d’autres colonnes en béton armé qui segmentent des salles, des bureaux, dont les grandes fenêtres laisse transparaître des formes bleutées.
Un oiseau passe au-dessus des passants et des gens restés assis.

  • Thomm

Le soleil de l’après-midi sur le bâtiment des Chênes 1, toujours aussi immobile. Vers le haut rien ne bouge. Plus on descend le regard, plus ça bouge, en bas il y a des jeunes gens qui pénètrent dans le bâtiment. Entre ces deux niveaux, un drapeau français, un drapeau européen. Ils sont un peu usés, pas très grand, fichés sur des grands poteaux. Avec l’air léger d’aujourd’hui ils flottent. Leur ombre se déplace sur l’esplanade. Ils font transition entre l’immobile du haut, le ciel la pierre, et la vie qui grouille en bas.

  • VBC

Rouge. Arbre rouge, frêle, qui tangue avec le vent, ploie, se déploie, se déracine dans l’air, fuit le béton, le gris, le froid, cherche la lumière, les cieux, l’univers, les gens autour marchent courent l’évitent l’ignorent, alors qu’il est si rouge, si rouge ! Sang, amour, menstrues, si rouge, rougit-il des mots que j’écris sur lui ?

  • Lola Perez

*

Perchée devant la fenêtre au quatrième étage de la Tour, je regarde les deux drapeaux souverains qui flottent paisiblement au vent. L’étoilé oscille ; le fanion tricolore lui répond. Tous deux dominent et colorent l’université. Tels deux gardes du corps, ils veillent sur elle.
En face, le bâtiment de béton semble vide et je ne distingue pas l’ombre d’un étudiant aux fenêtres : la seule animation humaine se trouve en contrebas sur le parvis et au-dessus de l’imposante passerelle. On y trouve des dizaines d’étudiants qui circulent au rythme cadencé des foulées des uns qui se calent sur celles des autres, telles de petites fourmis qui s’animent…

  • Anouck HUGUET

Fenêtres en cascade et rideaux tombant comme la pluie, comme des copiés-collés de la même parcelle de réalité. Ils étaient encadrés de murs blancs, comme dans un musée d’art ou le minimalisme ferait loi.

  • Camille Fayolle

En face de moi le paquebot blanc
Qui dresse fièrement ses flancs.
Focus sur les pilastres :
Horizon barré

  • Lydie. S.

Un bus blanc attend au feu. Un va et vient d’étudiants. Deux silhouettes s’arrêtent pour écrire des messages. La première, une fille aux cheveux sombres, se remet rapidement à continuer son chemin ; la deuxième, un homme en veste claire, reste pendant plus longtemps, puis fait quelques pas, puis s’arrête de nouveau. Une camionnette traverse le rond-point en rasant le terre-plein central. Le bus blanc ne bouge toujours pas.

  • Personne suivante

J’ai vu deux voitures bleues, une d’un bleu plus vif. Deux drapeaux dont le drapeau français. Un bâtiment blanc. Plusieurs élèves qui traversaient le pont. Il y avait un garçon blond qui était habillé en bleu. J’ai vu des arbres verts dont certaines feuilles étaient marron. Un oiseau a traversé le ciel devant moi, de gauche à droite, il était gris, je crois que c’était un pigeon. Il y avait de la lumière et le panneau de Cergy sur lequel j’ai écrit un texte. Cergy est écrit en rouge sur le panneau.

  • Clarisse

J’ai vu un papier blanc, affiché dans une salle, dans les chênes 1. Une image à l’envers, certainement une de celles qui demande à laisser la fenêtre fermée.
J’ai vu des gens marcher. Plein. Vers le pont, vers le boulevard, vers la tour, vers l’un des deux chênes.
J’ai vu plus bas des morceaux de fenêtres, pas encore accrochés, posés là, à terre.
J’ai vu aussi des gens assis. Des gens qui s’embrassaient. Des gens qui discutaient.

J’ai vu Cergy.

  • CLD

Syndrome.
Blanc comme la page,
Sur les panneaux de verre de ta façade immaculée.

  • C. de Sena Caires

Texte analytique – Lola Perez

Une partie des textes sont très descriptifs : les élèves mettent des mots clairs sur ce qu’ils ont vu et sont assez objectifs. On arrive facilement à s’imaginer la scène de manière concrète, il n’y a pas d’ambiguïté quant à ce qui est décrit. D’autres élèves, au contraire, jouent sur les images, les métaphores, les comparaisons, et ce dont il est question est parfois difficile à saisir. Il ne s’agit pas de descriptions, ou alors de descriptions poétiques. On peut y voir une tentative de repeindre l’ambiance et l’atmosphère régnant à l’extérieur, que les élèves ont capturé durant l’exercice. Ainsi, le bâtiment de l’Université est imagé par un paquebot, ou encore réduit à un ensemble de colonnes en béton.
La description se fait à la première personne du singulier, ou bien se compose de syntagmes collés les uns aux autres. Les élèves ont tant produit des phrases courtes que des textes longs ; dans certains cas, ils respectent une mise en page spécifique. J’ai pu constater que certains élèves se sont particulièrement concentrés à décrire les actions et l’apparence des personnes, tandis que d’autres se sont focalisés sur l’environnement architectural et ses plus petits détails.

J’ai fait un tableau récapitulatif des mots les plus utilisés :

Ces mots sont ainsi révélateurs des éléments les plus marquants aux yeux des élèves durant cet exercice. J’ai aussi observé une certaine récurrence de l’idée de mouvement, qu’on retrouve par différents moyens :
–avec les verbes « traverser », « bouger », « voler », « marcher », « passer », « courir », « flotter », « se déplacer », « s’animer », « s’agiter »
–avec les noms communs « passage », « mouvement »
–avec l’adverbe « rapidement »
–avec les groupes nominaux/verbaux « rythme cadencé », « va et vient », « d’un bon pas », « la vie qui grouille »
Il est intéressant de noter que les élèves parlent de mouvement dans ces textes alors qu’eux-mêmes étaient immobiles, tant durant la phase d’observation que durant la phase d’écriture.

24 avril 2019
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