Jour 2 : À l’affiche
C’est à toi que revient d’en répandre le bruit.
Te voilà employé à la communication. Par fortune, ton écran est sourd, il n’est pas à portée d’entendre tes invectives, pas non plus accessible aux malédictions que tu lui adresses à lui et à toute sa descendance pour les cinq siècles à venir… tu grimaces comme si tes mimiques allaient faciliter le travail… tu déplaces un bloc de texte, mais, mais… c’est toute la page qui rend visite à d’improbables espaces virtuels… tu grondes, tu t’impatientes… tu entres une photographie, animée, il faut le croire, de sombres ambitions hégémoniques, à elle seule elle a masqué tout l’ensemble… tu grossis les caractères et, et… ce sont les images qui se racornissent comme si tu les avais approchées du feu... il y faudrait une loupe…
Même si le résultat est maladroit, tout y est, les visages et l’adresse, le jour et l’heure, peu à peu tu fais la paix avec ton compagnon graphiste. Il accomplit les corvées, sans rechigner jamais, matin, midi et soir, indéfiniment il consent à recommencer. Tu t’es beaucoup emporté contre lui, l’as agoni d’injures, mais l’incompétence c’est toi, évidemment qu’il te faut l’admettre qu’avec mauvaise foi tu maudis l’instrument plutôt que l’instrumenteur.
Enfin, ils sont réunis, cadrés, captés, les auteurs, les auteures, placardés sur les murs, leur nom et leur livre, leur livre et leur nom, livre et nom qui, en dépit de l’esthétique balbutiante, entrent en attraction.
Étant donné la multitude qui prend chaque jour le métro, la patineuse rouge s’est certainement multipliée dans des millions de consciences. Voici longtemps déjà qu’elle a disparu des murs concaves du métro, mais elle n’a pas fini de revenir dans la mémoire de la foule. La foule n’a aucun souvenir distinct ; les images du moment n’innovent guère sur les précédentes, de sorte que la même impression persiste, et que ce qui serait souvenir dans une conscience personnelle est ici seulement à l’état de revenez-y, d’aimantation générale. »
Henri Thomas, La Nuit de Londres, 1956.