Jour 6 : Démarcation

C’est de saison, les prix, les récompenses, la guerre des places, les rivalités entre maisons, les lauriers que l’on tresse, puis de juger indignes on s’empresse, couronnes déposées avec componction sur des têtes à couper. De ce jeu tu n’es pas, ne seras jamais, et tu en es chagrin – sachant pourtant la versatilité politique. La littérature française t’a faite étrangère.
C’est cela, tout est toujours question de visa.
Depuis ton écart tu médis, tu médites. Tu m’édites ?
Tu médites : vers qui va ton respect ? Vers ce premier exilé qui bourre ses tiroirs de manuscrits refusés ignorant ce qu’est une concession. Vers cet autre migrant indésiré qui de lassitude en menuisier s’est recyclé. L’ethos de l’écrivain, en ont-ils les dedans, les nationaux ? Tous leurs papiers en ordre.
Ils construisent des murs partout, même des murs contre l’art. Ils tremblotent dans leurs mondes fortifiés, vite, ils ont juste le temps, ils polissent les couronnes, se proclament immortels, vite, c’est qu’il en vient des vagues, des vogues, de celles de ceux qui s’immiscent : écrivains apatrides.

« Que trouve-t-on dans ces Annales de l’Académie  ? Une longue liste de toutes les obscures distinctions possibles et imaginables que ces vers de terre de la pensée ont « obtenues » au cours de l’année écoulée. Qui cela intéresse-t-il, à part ces vers de terre eux-mêmes ? À cela s’ajoute, pour être tout à fait complet, une hypocrite « liste de décédés », avec des nécrologies alambiquées en guise de jeu des sept familles des académiciens morts, les unes plus embarrassantes et stupides que les autres. Dommage que ces Annales soient imprimées sur du papier tellement luxueux qu’il ne se prête nullement à chauffer mon poêle à Ohlsdorf. »
Thomas Bernhard, Mes prix littéraires, 2010