La porte, atelier d’écriture

Premier atelier avant le confinement. J’ai l’impression que c’était il y a longtemps... Nous étions au CRTH, dans la salle de répétition, au calme. J’avais choisi le thème de la porte. L’objet lui-même, ce qu’il y a devant, ce qu’il y a derrière, le passage, la frontière, le dedans et le dehors, l’avant et l’après... bref, autant de manières d’aborder le sujet avec comme suggestion de démarrer d’un souvenir précis. Voici deux textes représentatifs de ce qui s’est écrit.


FRANÇOIS

Elle permet d’accéder au sommeil. C’est une étape.
Elle est bien réelle mais elle n’a ni forme ni matière.
Elle est très obscure.
L’obscurité est construite de beaucoup de choses mais on ne sait pas de quoi vraiment, la peur, l’angoisse, le désespoir etc. ou tout simplement des choses qu’on ne peut pas expliquer.
Avant d’ouvrir cette porte il faut en avoir les moyens : fatigue, sommeil, des trucs comme ça.
Pour l’atteindre, il faut descendre des marches. Elles sont douces et d’une couleur rouge, comme si on avait ajouté un tapis sur ces marches en bois.
Mais attention vous pouvez tomber brutalement et peut-être perdre la vie. C’est pour cela que j’essaie de rester en bonne santé et de passer à travers cette porte qui me fait assez peur.
Imaginez que vous êtes en train de jouer aux jeux vidéo et que vous passez à travers une porte vide. Ici, c’est pareil.
Elle signifie le sommeil. Dedans on se perd totalement. Une autre étape commence je ne sais pas quoi.
J’ai connu cette porte quand j’essayais de dormir dans ma chambre à moi. Car je suis tombé dans mon imagination, mais très brutalement.
J’ai ressenti une courte douleur, comme si le tremblement arrivait pour de vrai. Je ne voudrais ouvrir cette porte que si je ne tombe pas. Sinon ce n’est vraiment pas la peine.
Je lui ai donné un nom, la porte de l’endormissement, pour qu’il soit plutôt joli.
Cette porte et tous les actes qu’on fait avant de l’ouvrir se passent dans la tête mais pas en réel.
Je ne l’ai jamais vraiment ouverte mais je suis passé à côté quelques fois.
Avant de l’avoir découverte, je dois dire que je suis passé par beaucoup d’évènements durant ma vie.
Je ne me souviens pas quand j’ai vu cette porte pour la première fois. Mais je pense que c’est quand j’ai voulu dormir tout simplement.


CHRISTINE

Face à l’église, on aperçoit une grande porte de couleur marron relativement foncé, qui par le haut est en arrondi. Je ne ne m’y connais pas en matière première mais je pense qu’elle est en bois et plus précisément en chêne. Au-dessus, elle est protégée par un petit toit en verre avec un encadrement de couleur dorée (je crois que cela s’appelle une marquise).
A hauteur d’homme, une poignée en fer forgé représente deux bras qui se tendent la main. Elle sert à frapper la porte pour indiquer son arrivée. Pour moi, cela à un nom : « toc toc je suis ici ». Juste en dessous, une poignée ronde, elle aussi de couleur dorée, sur tout son contour des sillons qui donnent le sentiment de tenir une fleur dans la main. Le tout ressemble un peu à une porte de château.
Après avoir entendu un « chrink », la porte se débloque, il ne reste plus qu’à la pousser. Doucement car elle est très lourde. Une forte odeur de médicament mélangée à celle de la soupe surprend.
J’ai des hauts-le-cœur, je ne pense qu’à une chose, prendre les jambes à mon cou, mais il est vrai que courir ainsi n’est pas pratique. Je me résonne en me disant que si je veux suivre un régime c’est l’endroit idéal : l’effet coupe-faim est immédiat, donc je referme la porte derrière moi. J’ai à peine le temps de voir le couloir avec des portes de droite et de gauche qu’une nonne de petite taille (en même temps comme je suis grande tout le monde me semble petit), en cornette grise et blouse blanche, apparait et me dit avec une voix nasillarde et un sourire cynique : « Ah tu viens pour ta piqûre ». Elle me fait signe d’entrer dans la première pièce sur la droite. Tout en me montrant le siège, elle marmonne « assieds-toi et relève ta manche ». J’ai peur, serre les dents si fort qu’on les entend grincer. Elle attrape mon bras, je me rends compte qu’elle tremble, mon angoisse augmente, je souffle pour tenter de m’apaiser, ça la fait sourire. Elle passe une lingette imbibée d’alcool le long de mon bras et bim ! elle joue aux fléchettes ! Voilà un trou de plus !!! Je ne lui ai rien fait alors pourquoi tant de violence ? Bon ok la prochaine fois pendant la messe je serai sage, peut-être que ça la radoucira. Je me rhabille. Elle me salue, et me dit : « on se revoit la semaine prochaine, que Dieu te garde ! ». Oui j’aimerais bien qu’il me garde loin de ces aiguilles. Arf ! encore deux ans et je serai une vraie passoire.

La porte de l’enfer, Rodin

La Porte de l’Enfer, Rodin

5 avril 2020
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