Le grain de beauté
Le bar est plein. Ça parle et ça jure.
À sa septième bière, Chabane veut parler. Il regarde à la ronde et voit un solitaire, au fond de la salle, affairé à s’abreuver tranquillement de vin et à couper, entre deux gorgées, en bouchées une énorme entrecôte. Chabane s’approche de lui, bière en main :
– Bonjour Monsieur !
Le monsieur acquiesce de la tête en mastiquant sa viande.
Chabane, sans s’asseoir, continue :
– Je parie que vous êtes étranger. Je ne vous ai jamais vu dans le coin. C’est cette bonne raison qui m’amène à vous accoster. J’adore les étrangers. On peut tout leur raconter. Et puis, je vous trouve vraiment sympathique. Rares sont les gens qui boivent seuls de nos jours.
Il hèle le garçon de salle :
– Un coup pour le monsieur !
Puis il revient à la charge :
– Je suis plombier et je connais toute la tuyauterie de cette ville. Ces gens que vous voyez autour de vous sont tous mes clients. Je fais chaque jour des réparations chez eux. Et parfois, par bonheur, sous l’œil décidé de leurs femmes en robe courte. Que voulez-vous ? Comme dirait l’autre, c’est le métier. Regardez-les, ils ont tous l’air fier, mais en vérité, ça sent fort dans leurs canalisations. Bien que je sois célibataire, je refuse ces bonheurs adultères. Moi, monsieur, je suis croyant et de bonne famille, tout comme vous. Pour un plombier, il n’y a aucun secret. La vie des gens est transparente. Dernièrement, alors que je réparais une baignoire pleine de poils, j’ai remarqué que ça venait du pubis rasé de la maîtresse de maison. J’ai remarqué aussi, à travers la robe de gaze que cette femme portait, un gros grain de beauté sur son mont de Vénus...
Il n’a pas fini sa phrase, l’étranger claque des mâchoires en se mordant la langue. La tête en feu, il plante le couteau qu’il avait à la main dans le bas-ventre du plombier, à l’endroit précis où la fille de l’étranger a un grain de beauté.