Le haïbun, sur les traces de Fukushima

Première neige 2009
© Lydia Padellec

Le haïbun, forme littéraire qui mêle prose et haïku, né au Japon à l’époque médiévale – appelé alors « nikki » pour désigner notes de voyage et journaux, doit son nom au célèbre haïjin du 17e siècle Matsuo Bashô : La Sente étroite du bout du monde dépeint le paysage et les petites scènes que le poète découvre lors de son pèlerinage dans le Nord du Japon. Il s’agit d’un récit de voyage. Aujourd’hui, dans le milieu francophone en particulier, le haïbun se cherche ; il peut prendre la forme de la lettre, du journal intime voire de la fiction. L’exemple le plus frappant est le très beau Neige de Maxence Fermine (Point, 2001) qui, avec Claire Landais (Au pays du froid-chaud, paupières de terre, 2004), ont été de véritables coups de cœur et révélations pour moi.
D’apparence facile, tout comme le haïku, l’art du haïbun n’est pas si évident : la prose et le haïku ne doivent pas se répéter ou s’illustrer. Jeux d’écho. Contraste. Allusion. Tout est une question de finesse et de suggestion.

Aujourd’hui, je marche seule dans la neige. Je pense aux haïjins, à Bashô, à Santôka, qui partent seuls en pèlerinage à travers le Japon. Les flocons sur mon visage. Les mêmes sur leur visage. Ils avancent dans la tempête. A l’aveugle. Où vont-ils ? Connaissent-ils vraiment leur destination ?

Première bruine –
J’aurai pour nom
« le voyageur »
(Bashô)
 [1]

Sur les lèvres rouges des Saisons (l’Amandier, 2012, rééditions unicité 2019), dont est extrait le passage ci-dessus, est le premier recueil francophone qui réunit le haïku, le haïbun et le tanka. A travers les saisons, ce sont quatre haïbun très différents : le livre s’ouvre sur l’automne, le texte décrit la solitude du poète dans sa « chambre à soi », visitée par le fantôme de son aïeule bretonne. Je n’hésite pas à prendre quelques libertés avec le genre, en y glissant cette « inquiétante étrangeté » qui définit mon écriture poétique.
Pour mon projet d’album, je désire mettre l’accent davantage sur le conte, mais un conte ancré dans la réalité et le quotidien d’aujourd’hui. Pas de fée – à moins qu’une libellule posée sur un pétale puisse l’évoquer, de manière alors indirecte. Il s’agirait de parler d’amitié, d’exil et de reconstruction après une catastrophe.

Bientôt huit ans -
La balançoire immobile
Fukushima

24 février 2019
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[1Haïku extrait de l’Anthologie du poème court japonais, traduit par Corinne Atlan et Zéno Bianu (Poésie/Gallimard).