Olivier Steiner | Un veau, des vœux

"Maintenant on pourrait presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l’histoire du futur. On leur dirait qu’on a découvert des feux, des brasiers, des fusions, que l’homme avait allumés et qu’il était incapable d’arrêter. Que c’était comme ça, qu’il y avait des sortes d’incendies qu’on ne pouvait plus arrêter du tout. Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne." Marguerite Duras - Le Matin, 4 juin 1986

Un autre matin, celui du 6 janvier 2020. Durant la dernière décennie la biomasse a chuté de 67 %, je parle ici de la branche du vivant et je cite Aurélien Barrau qui lui-même cite et analyse les meilleurs rapports internationaux des scientifiques. Et nous venons d’apprendre que la moitié des points dits de basculement irréparable, sans retour possible, sont déjà atteints et beaucoup plus rapidement que ce qui avait été prédit. Effet exponentiel, tornade des événements, tout est lié... Ce qui se passe est une extermination massive du vivant tel qu’il existait sur Terre. Guerre totale contre la vie. Catastrophe planétaire. Et les auteurs du massacre sont aussi les victimes. Et l’hébétude et l’aliénation, l’aveuglement plus ou moins sincères semblent avoir encore de « beaux » jours devant eux. Alors, certes, il y a des « réalités économiques », dit-on, disent les Romains, les Pharisiens et les Grands Prêtres – mais elles sont contractuelles. Or il y a des réalités biologiques et physiques, qui vont de l’alpha à l’oméga, α et ω, qui ne sont pas contractuelles, elles. En Australie, une superficie équivalente à deux fois la Belgique vient de partir en fumée, il faisait 50 degrés à Sidney ce matin, on parle de 480 millions d’animaux morts... C’est également l’Epiphanie aujourd’hui, du grec ἐπιφάνεια, "epiphaneia", c’est-à-dire apparition, éclat, manifestation.

Voilà. Longtemps je me suis couché de bonne heure le matin après de courtes et longues nuits banches et noires, longtemps mon Eros a dansé avec Thanatos, pour de vrai et pour de faux, bêtement la plupart du temps, sérieusement parfois. Le feu brûle et l’eau mouille, certains dont je fais partie ont besoin de vérifier ces vérités pour les croire, mettre leur doigt dans la plaie. Quitte à se brûler, quitte à se noyer. Tout a changé. Ces derniers mois. Je vais mourir, un jour. Bientôt, ou pas. Et ce savoir me terrifie. D’habitude, heureusement, comme vous, j’ai l’oubli comme un baume qui m’aide à vivre et à passer, sauter d’une minute à l’autre, supporter la durée. Autrement je deviendrais fou, je pense. Plus dangereusement fou que fou je suis déjà. De terreur. De peur. D’inquiétude. D’angoisse. Etre, étant, étant donné... comment ne plus être ? Impossible. Je ne veux pas mourir. Je ne veux plus mourir, depuis que je sais que je vais mourir, que j’ai compris, vraiment, je ne veux plus. Mais je vais mourir. Je le sais. Et cette idée est intolérable. A mes yeux. Inacceptable.

Si Jésus revenait sur Terre ? De nos jours ? Ils seraient plusieurs, nombreux. Jésus aujourd’hui reviendrait nombreux. Hommes. Femmes. Petits et jeunes garçons. Petites et jeunes filles.

8 janvier 2020
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