PORTRAITS GAGNYNGHAM - 2

Des portraits et des impressions, comme des notes à la volée ou des divagations entre deux RER, casque sur les oreilles, à écouter la Musique ; des textes morts-nés, textes vivaces en plantes grimpantes dans mon cerveau, brouillons de machins ou visions alternatives de l’expérience Gagnyngham. Des couleurs, des sensations, des visages, des corps et des archives, en somme. Pousse et repousse, et rerepoupousse, sans cesse, sans cesse...

« Le » gros son, c’est l’histoire de Francky.
Francky est un type vivant à Gagnyngham. Un petit type ultra speed toujours en survêtement, un gros casque collé aux oreilles. Francky a l’air doux, Francky a une voix assez aiguë et, souvent, Francky a des accès, des crises, où il se met à hurler très fort et tout seul. Comme Alan Vega, dans la chanson Frankie Teardrop du groupe Suicide (à 4 minutes et 39 secondes, très exactement). Dans Frankie Teardrop, le chanteur Alan Vega raconte l’histoire d’un ouvrier qui perd son travail, puis la raison dans l’Amérique pauvre et industrielle des années 1970. L’histoire d’un type qui descend en enfer sur le son des avant-gardes électroniques. A la fin de la chanson, Alan Vega larmoie "We’re all Frankies". Nous sommes tous des Francky. Pas si sûr...
Frankie Teardrop, c’est le son de ceux qui prennent les coups dans la gueule en premier et un hurlement qui sature l’espace de douleur dans les bars glauques du Lower East Side d’un New York qu’on imagine peuplé de junkies, weirdos, hustlers. La faune de la périphérie, les fragiles jardins de Gagnyngham. Francky, comme Alan Vega, aime bien quand ça hurle et quand ça cogne fort. Aujourd’hui, les jeunes gens branchés des centres-villes adooooooooooorent Alan Vega, car Alan Vega est troooooooooop bien. Les jeunes gens branchés, experts en punkologie (ita est : la science du punk, ou quelque chose comme ça) ne mettraient pas même un doigt de pied à Gagnyngham.
Quand Alan Vega chantait dans Suicide, il sortait son couteau sur scène car les concerts viraient souvent à l’émeute et c’était lui ou eux. Quand Francky était DJ, il avait aussi un couteau, mais c’était surtout pour se couper des tranches de saucisson sur le bord de la route. Francky convoyait du gros son des BOOM BOOM pour les fêtes des autres dans un camion rempli de ses frères et d’enceintes costaudes. Un jour, chez lui, (je veux dire avant qu’il ne se perde dans la musique et se réfugie dans le territoire extensible à l’infini de Gagnyngham et ses jardins à hurler), Francky réussit à casser un carreau :
"tu vois, tu règles le volume sur BOOM BOOM, puis tu montes BOOM BOOM, et ensuite tu montes encore au-dessus, et là
GLINGGLINGGLING SCRATSCHHHHH !"
Sa mère n’était pas très contente. Quand il était plus jeune encore, Francky a aussi fait partie de la fanfare. Francky portait la grosse caisse avec son tout petit corps et tapait comme une bête sur la peau tendue de l’instrument.
BOOM BOOM
Francky a fini la journée les cuisses couvertes d’hématomes et les doigts gonflés d’ampoules.