Projet d’écriture
Bijou bijou, te réveille pas surtout
et notre petite vie est entourée de sommeil."
Shakespeare, La tempête
L’histoire
C’est l’histoire d’un spectacle en train de s’écrire.
Au bord du plateau, un garçon attend sa scène. Une fille vient attendre avec lui. Mais une troisième aimerait en être aussi. Bientôt, c’est tout le monde qui aimerait partager cette scène avec lui. Pas question pour le garçon ! C’est la scène de sa vie.
Pour marquer son refus, il s’allonge sur le plateau et s’endort.
Profitant de la capacité d’invention et de la force d’illusion qu’offre l’espace théâtral, les autres vont le rejoindre dans la forêt inextricable du sommeil et l’accompagner dans ses songes, en prenant l’aspect de personnages inspirés de figures du conte et du théâtre.
Bientôt, le garçon ne sait plus si c’est d’un songe ou de la réalité dont il est l’objet.
Comme dans toute histoire en train de s’écrire, il y aura des bafouillages, des blancs, des imprévus, des invraisemblances. Mais comme dans toute pièce de théâtre, il y aura un couteau posé au centre de la scène qui attend l’heure du crime. Et il y aura l’urgence d’une scène d’amour, écrite sur un coin de table et dont l’encre n’est pas encore sèche, qui sauvera l’histoire d’un dénouement tragique.
Le garçon doit-il se réveiller pour éviter qu’un cauchemar ne surgisse ? Ou bien doit-il attendre endormi que le rêve s’accomplisse ? Il faut qu’à son réveil, il puisse revenir sur la scène de la vie.
L’histoire de l’histoire
Inspirés des fées penchées sur le berceau de La belle au bois dormant, nos personnages se penchent sur le sommeil d’un garçon qui se berce d’illusions.
Le temps de l’adolescence est un temps de grand épuisement. Aux tempêtes intérieures répond un état d’hibernation. Dans cet extrême ralenti de la vie, l’existence apparaît sous la forme d’un rêve éveillé dans lequel règne un grand désordre et une grande confusion. Comment cheminer dans ce moment de total abandon de soi pour qu’au réveil on puisse trouver un sens à sa vie et qu’autour de nous, le monde soit enfin apaisé ?
L’histoire de l’histoire de l’histoire
À travers l’histoire d’un spectacle en train de s’écrire, c’est notre histoire du théâtre que nous aimerions raconter, nourrie de nos souvenirs et nos émotions de spectateurs, de notre parcours de compagnie sur les scènes depuis plus de 20 ans.
En nous réunissant au même endroit au même moment pour partager un événement unique, le théâtre nous rappelle la nécessité que nous avons de vivre ensemble. Il possède cette formidable faculté à nous conjuguer au présent, où tout peut être fait et défait d’un seul mot, où tout peut s’inventer selon les circonstances, où l’on ne sait jamais ce que la vie peut nous réserver, comme au matin d’une journée nouvelle.
Extraits
Jean-Louis s’adresse aux trois filles.
JEAN-LOUIS : Dites, vous trois !
LES FILLES : Oui ?
JEAN-LOUIS : On se connaît bien, toutes les quatre !
LES FILLES : Sûr !
JEAN-LOUIS : On a déjà fouetté pas mal de chats, toutes ensemble !
LES FILLES : Ça oui !
JEAN-LOUIS : Qu’est-ce que vous bricolez, en ce moment ?
LES FILLES : Pas grand-chose !
JEAN-LOUIS : Alors, je vous le demande.
LES FILLES : Deux-points, ouvrez les guillemets !
JEAN-LOUIS : Vous voudriez pas être mes filles ?
LES FILLES : Tes filles ?
JEAN-LOUIS : Maintenant qu’on a les costumes !
LES FILLES : Mais t’as passé l’âge.
JEAN-LOUIS : Pour une fois !
LES FILLES : C’est trop tard, maintenant.
JEAN-LOUIS : Mais pas longtemps !
LES FILLES : Désolé, mon gars, t’es trop vieux !
JEAN-LOUIS : Ou bien alors, vous voudriez pas que je sois votre père ?
LES FILLES : Notre père ?
JEAN-LOUIS : Si vous préférez !
LES FILLES : Mais si on est tes filles, tu seras forcément notre père.
JEAN-LOUIS : Pas si sûr !
LES FILLES : Explique-nous ça !
JEAN-LOUIS : Parce que les deux, ça n’irait pas ensemble !
LES FILLES : Tiens donc !
JEAN-LOUIS : Eh oui ! Entre le père et les filles, ce serait toujours la guerre.
LES FILLES : Tu vois ? Tu nous renies déjà.
JEAN-LOUIS : Et c’est le monde entier qui risque d’en payer les conséquences.
LES FILLES : On voit pas ce que le monde entier vient faire dans nos histoires de famille.
JEAN-LOUIS : Parce que moi, je serai pas n’importe qui.
LES FILLES : Tu serais quoi ?
JEAN-LOUIS : Je serai le roi.
LES FILLES : Le roi ?
JEAN-LOUIS : Oui ! Tout ça, ce serait à moi.
LES FILLES : Non ?
JEAN-LOUIS : Si !
LES FILLES : Mais ça change tout, ça.
JEAN-LOUIS : N’est-ce pas ? Alors, qu’est-ce que vous choisissez ? Vous êtes mes filles ou je suis votre père ?
LES FILLES : Les deux !
JEAN-LOUIS : Vous avez pas froid aux yeux, vous !
LES FILLES : Qu’on nous mène tout de suite à nos appartements !
JEAN-LOUIS : Si vous le prenez sur ce ton ! Allez, ouste !
Ils sortent tous.
...
Jean-Louis, Déborah, Juliette, Catherine, Johann, penchés sur le couteau.
DÉBORAH : Un couteau à cinq lames ! Ça en fait pile une pour chacun.
JEAN-LOUIS : T’as tout deviné.
JULIETTE : J’aimerais pas tomber sur le tire-bouchon, moi.
JEAN-LOUIS : Tout le monde aura son compte.