Atelier /1

Séance du 22 septembre

Extraits de textes


Au mois de juin je suis rentrée à l’hôpital, pour une opération à cœur ouvert. J’y suis restée presque trois mois entre Montsouris et Créteil. J’étais absente, absente de cet atelier et de toutes les autres activités que je pratique. J’avais l’intention de revenir. J’y pensais beaucoup, ça me donnait l’envie de guérir. Quand on est absent, on pense à tous les endroits qu’on a quittés, l’atelier couture et ses étudiantes, les cours d’arabe aux enfants, la cuisine pour les SDF. J’envoyais des idées, « fais ci, fais ça », depuis mon lit d’hôpital. J’essayais de ne pas être totalement absente. Je me concentrais sur ce qui s’y passait, sur ce qui s’y passerait la semaine prochaine, ça m’aidait à guérir. 

Nacera 


Une fois, tu sais, j’ai vu un fusil. 

Le drame d’une famille. Les voisins d’en face. La fille, je la connaissais bien, elle avait un an de plus que moi. Un fusil. Elle court pour aller au commissariat. Son père, un fusil. Ma grand-mère m’a empêché d’ouvrir la porte. 

L’entendre crier. 

Elle qui court. Le fusil de son père. J’avais huit ans à l’époque, j’allais à l’école arabe. Il a tué toute sa famille, il s’est tué après aussi. 

Elle courrait. Ma grand-mère a entendu le drame. Elle faisait sa lessive devant la porte, au robinet d’eau. J’ai quand même ouvert la porte. 

Le père, son fusil. « Viens ici, viens ici ». Elle s’est écroulée en face de moi. Elle courait au commissariat. Ça m’est resté dans la tête, je me suis dit « merde, c’est quoi cette chose-là ? » 

Il a commencé par elle, qui s’évadait par la fenêtre. Il y avait encore deux enfants. Son père, son fusil. Et puis la mère. Elle l’avait trompée. Il a abattu sa fille et les autres. Le père et son fusil. 

La maison est restée vide. Vidée par le massacre. Une absence. Une maison vide pendant vingt ans. 

Rachid Sakraoui  


Partir, c’est parfois se regarder de loin 

Jouer, c’est parfois ne plus savoir où se mettre 

Se balader, c’est parfois un mensonge 

Chanter, c’est parfois une illusion d’optique 

Souffrir, c’est parfois quelque chose 

Avoir chaud au cœur, c’est parfois attendre avec un fusil 

Penser, c’est parfois mes souvenirs 

Soigner, c’est parfois un remord 

Crier, c’est parfois l’argent 

Philosopher, c’est parfois la débâcle 

Dénoncer, c’est parfois une image rémanente 

Une balançoire, c’est parfois impressionner 

Connaître, c’est parfois pour les Anglais 

S’ennuyer, c’est parfois un chamboulement 

Je t’aime, c’est parfois malade 

Papa, c’est parfois abriter 

Ma vie, c’est parfois pour Fatima 

Maman, c’est parfois jouer 

Texte collectif  

21 novembre 2021
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