Extraits du recueil collectif
des retours manqués, des insomnies.
Il faut une condition spéciale pour obtenir un poème noctambule : que l’inspiration tombe progressivement, comme l’influence du gaz d’éclairage, des lampes à arc sur la végétation, de la lune sur la fragilité de la jeune fille couchée dans l’herbe, de la splendeur de la lune visible. Excitation du rayonnement, beauté de la lampe à pétrole, abat-jour oblique sur le visage du poète :
Etant donné le gaz d’éclairage
J’allume toutes les bougies
Etant donnée la technologie
J’envoie un oiseau messager à ma mère
Etant donnée l’importance de ma mère
Je ne lui souhaite pas son anniversaire
Paul
Point du jour ?
Ou :
Soir de Paris
Flambant d’électricité ?
Les saisons de la vie éclairent les visages
Les saisons de l’ennui éteignent
La lumière, les désirs, les envies…
Eric
La force attractive d’une rencontre, je la reconnais à la gravité de cette rencontre (le carré de la distance entre deux personnes côte à côte). L’électricité sert à mesurer l’importance de la situation, sa nouveauté : dès que j’embrasse, les électrons se mettent en travers du contact. Ce coup de foudre aura duré le temps de remettre ma montre en marche, je ne l’ai pas vu venir, il reviendra sous une forme atténuée, apprivoisée.
L’optimiste :
Ville dans le noir
Jour sans nuages
Lampe d’Aladin
Mes désirs seront réalisés
Je me réveille, je tâtonne, pas de lumière…
Trois voeux jusqu’à ce soir :
1 Me rendre à New York en tapis volant
(j’ai peur de l’avion).
2 Faire une thalasso à La Baule
3 Une nuit dans la suite d’un grand hôtel
(me faire servir, être exigeante).
Pascale
La classique :
La ville est dans le noir
La bougie sort du tiroir
Ce jour sans nuages
Avec ce vent si sage
La foudre et l’éclair
Ces ondes éphémères nous font oublier les saisons
Ces matins, ces soirs, ces nuits se confondent
Ils me font perdre la raison
Lionel, Kivi, Hilario
La panne préoccupante :
Ecrans vides
Imprimantes silencieuses
Marcel
La panne interminable, plus longue qu’une grève :
Les radios et les télévisons n’émettent plus, je n’ose pas recharger mon portable, je renonce à Internet. Les ports ferment, les stations service également. S’ensuit un isolement progressif, la famine, l’assèchement des océans, les brins d’ADN qui se dispersent.
Dès que l’oxygène manque, je me bats à mains nues pour la nourriture. Les plus malins vendent leur hémoglobine dans des petits sacs en plastique, comme autrefois le poisson rouge en revenant du marché, ils demandent Qui veut ma substance contre un minimum d’électricité ?
La panne impossible :
Autrefois, les acteurs recherchaient les projecteurs parce qu’ils brûlaient d’impatience de rester jeunes.
L’électricité était la jeunesse éternelle, la panne impossible.
Aujourd’hui, impossible de se limiter à un genre : un ordinateur n’est pas mâle ou femelle, une liseuse se dit au féminin, j’ai acheté une liseuse, mais l’utilisateur peut être un garçon ou un homme d’un certain âge. Un chef d’orchestre peut être belle, porter un tailleur et de hauts talons. Tout est transformable, les éoliennes comme muses, les pylônes guerriers, les chars fleuris de la Gay Pride.
Lorsque la littérature est en panne, on emprunte des idées à la science, à l’industrie, au progrès. Le néon et l’art contemporain s’associent pour vous servir, les archives et la fiction, Internet, le réseau ferroviaire. Accumulez, miniaturisez, le sujet de votre roman deviendra invisible, tiendra sur très peu de pages.
Céline a court-circuité le vingtième siècle pendant que Claudel attendait, à la bougie, que les Odes se lèvent. Qu’est-ce qui est préférable ? Le poème luciole ou le roman d’une génération ?
Je pourrais mourir pour cela, pour la lumière des yeux d’Edith,
Le halo de l’Olympia,
Le allo d’un appel qui se perd dans le noir.
Marcel
Mourir pour une compagnie de téléphone :
une ville qui rend possible le programme.
Il y a tout pour faire la ville :
la lumière, les néons, les terrasses, les écoles privées,
le libéralisme décliné en plusieurs exemplaires,
les bébés en poussette
Cependant le malheur est à l’œuvre.
Je cherche une tête de vieux qui pourrait dire pourquoi,
depuis quand….
L’homme ne s’improvise pas.
Françoise
Les quarks n’acceptent pas de se laisser voir entièrement nus. Dans une cabine d’essayage, je tire le rideau, mais les défauts persistent en pleine lumière.
Un jour, j’en ai eu plus plein le dos : celles d’en haut, les obliques, les rasantes, les perpendiculaires. Les ampoules qui durent et qui sautent, l’éternité et ses promesses, je n’y croyais plus. Le silence au théâtre avant la fin de la pièce, le mot FIN à la fin d’un film.
J’aime l’aurore, l’innocence des fleurs qui s’ouvrent, les rayons qui passent à travers le rideau, mais je refuse le doigt du prêtre qui interdit, la lumière terrestre de la culpabilité. Des siècles de judéo-christianisme n’empêcheront pas la foudre de tomber au bon endroit.
Au moins, après avoir tonné, Zeus lâchait ses éclairs n’importe où.
Tonnerre de Brest ! dit le Capitaine Haddock
Vent de Moscou ! dit le Tsar Nicolas II
Neige de Reykjavik ! dit Barberousse
Soleil de Tunis ! dit Ali Baba
Soleil de Rio ! dit Esteban
Nicolas