« Je plains tes enfants. »

Piquey, été 83 : une chaleur épouvantable et le sable, blanc et sec, une poussière de sable portée en rafales par le vent, et qui vole chaque fois que passe une voiture, devant la porte, au ras de la maison, quasiment dans la maison en fait, au milieu des jouets des enfants, et la mer, ou plutôt l’océan, invisible, là-bas derrière la dune blanche, que l’on entend parfois gronder comme une bête mystérieuse. C’est peu dire que le lieu ne correspond pas à l’idée que nous nous en étions fait. On nous avait vendu le rêve d’une villa au bord de l’eau, les vagues, les embruns, l’air marin, et nous n’avons que du sable qui se loge dans tous les interstices et fait crisser nos dents.
J’ai tout oublié de la maison, sans doute trop petite pour nos deux familles, je ne me souviens que de ce satané sable dans les cheveux et les yeux des petits, de leurs paupières irritées, de leurs cris de colère, et de cette fatigue immense qui m’engloutit toute entière. Je me souviens d’elle aussi, de sa blondeur, du grain sablonneux de sa peau et de ses mots avant de claquer définitivement la portière de sa voiture : « je plains tes enfants. »

Marie Sellier

« Je plains tes enfants » dis-je.
« Moi, je plains la douleur que tu vas ressentir dans tes couilles si tu continues à me parler d’eux. »
Charmant, pensé-je, tout en avalant une gorgée de cocktail. La chaleur étouffante et l’humidité de l’air vous forcent à constamment vous hydrater si vous ne voulez pas finir fripé comme la noix de coco dont tout le monde raffole ici.
Je tire légèrement la couverture afin qu’elle recouvre entièrement le corps dénudé de Claire. Mon Dieu, qu’est-ce qu’elle est belle. 
Pour mes gamins, de toute manière, je ne suis que ce que j’envoie à la maison par la poste, un jeu vidéo par-ci, une poupée par-là, un peu d’argent à droite, un mot rempli d’amour feint à gauche. Bref, je suis sûr que si je débarquais sur le perron de la maison demain, cela leur prendrait bien trente secondes pour me reconnaître.
Cela fait bien huit ans que je l’ai rencontrée et c’est la première fois qu’elle me parle aussi ouvertement d’eux. L’endroit doit sûrement jouer, tant il est difficile de faire plus isolé et paradisiaque que cette petite cabane reculée au milieu de rien. La mer, d’un bleu si transparent qu’on peut distinguer sans aucun souci depuis la surface toute la faune marine qui la peuple. Un soleil si chaud qu’il donne l’impression de vous transpercer de part en part, une végétation si dense que la moindre exploration se transforme en exercice commando de paramilitaire, et un air si riche en senteurs que la moindre inspiration vous fait tourner la tête.
Oui, c’est sûr, cette petite maison au bord de l’océan sera le début de tout.

Maxime

4 avril 2016
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