Notes #11 - (20 juillet - 14 septembre 2016)
20 juillet 2016
« Formater les cartes. C’est-à-dire, non, non.
Tu peux lire que sur la Canon, la carte ou pas ?
Dans la cuisine.
Je t’ai pas pris tes micros filaires, des piles il en faut, il y en a 10, installation du plateau. Micro ? Tu y arrives ?
Sinon Charlie va s’en charger. Normalement on peut tout effacer. Mais je veux être sûr avant. Tout est effaçable ? ça passe ? De toute façon il faut des plans d’inser. on verra dehors, là c’est bon. Donc là elle est formatée, la carte, 1 2 3 4 5, tu vas recoller le Lumix, par-dessus la Tascam pour le son. Pour le son il me faut une carte. donc il en faut deux, on peut regarder le temps là-dessus ? Combien il me reste ? Deux minutes s’il te plaît, il va filmer aussi, 98, et 1 h 38 sur la carte, j’ai fait un préréglage j’ai amené ma boîte et j’ai pas besoin de lumière c’est ça qui est bien, et le son ? Reviens en arrière, c’est bien, ça. Si tu peux cadrer de manière à ne pas avoir le frigo… ça s’appelle nettoyer un plan. Alors on va enlever la poubelle, c’est bon c’est calé ? Il marche le contrôle ? C’est bon c’est parfait ça remonte mais ça me coupe l’image. Là c’est reçu ? Oui ça rec. arrête ça tout de suite. C’est sexy ? Non ? Oui, si, tu l’as dit : il est sexy l’appareil, j’ai regardé la dernière vidéo, tu l’as bien dit. Remets-moi le cadre, ah, là c’est beaucoup mieux, le tout petit espace entre le manche et le machin tu vois ? Garder la ligne et là, stop. Les couteaux c’est bien et je peux poser le contrôle là c’est bien. Il faut le gaff, je vais gaffer tout ça. »
Le parler un peu chinois des techniciens venus filmer.
Ils préparent mon interview dans la cuisine. Serai cuisinée donc plus d’une heure pour un reportage qui passera également par la carrière de Moigny-sur-Ecole demain.
21 juillet 2016
À la carrière je fais le trajet inverse : garée vers le bas je remonte vers la route, constater de quoi se constitue le chemin que les gens emprunteront lors du week-end des journées européennes du Patrimoine, qui sera aussi celui de la restitution. Tous à pied dans les bois.
Les blocs de grès apparaissent entre les arbres. Plus on s’approche de la carrière plus il y en aura.
Puis arrivent Johann le Guilherm et Didier de la compagnie Cirque ici, venus voir le lieu, le sable, les pavés, venus expérimenter pour septembre l’idée d’une installation instable, qui s’écroule à cause du sac percé d’où s’écoule le sable. La lenteur du sablier.
A la fin de la matinée, la carrière devenue partenaire officielle de la Compagnie : sable adéquat à volonté (car nécessaire et régulièrement acheté lavé, tamisé, pour les différents numéros).
4 août 2016
Je sais exactement.
Pourquoi.
Je sais.
Parfaitement pour quelle raison. Je ne suis pas dupe.
De mes actes manqués.
Réussis.
Comme souvent ces actes savent l’être, lettres.
Qui racontent.
Je me répète.
Il n’y a pas mort d’homme.
Il n’y a rien de cet ordre.
Il n’y a que ta connerie je crie.
Mais culpabiliser ne sert.
Absolument.
Parfaitement.
À rien.
C’était une béquille pour traverser la semaine et ces éprouvantes échéances, mon accompagnement, ma mère et sa tête.
J’ai pris tout ça sous le bras pour traverser la rue comme quand on se dit bon, allez, on y va.
J’ai apporté tout avec moi, tout mis dans mon sac, trimballé tout pendant des jours. Jusqu’à les sortir sur la table comme un rendez-vous gardé attendu repoussé impatient malvenu.
Et je suis partie laissant tout.
Quelque part.
Même perdu.
Tout est toujours quelque part.
C’est l’avantage, la certitude de la chose.
Y a pas mort d’homme.
Je vais remonter la trace la piste et nous verrons. Je n’ai pas d’autres solutions que d’essayer d’en retrouver les contours pour que le rendez-vous ait lieu, que je plonge mes mains au creux des bribes et des histoires, pour rendre compte et prolonger ces rencontres.
14 août 2016
Parfait. Ou comment bloquer une partie du cerveau, une partie du processus de création.
En attendant, condenser le journal et trier les photos pour qu’elles s’inscrivent dehors bientôt.
21 août 2016
La lumière change et le reste bouge à cause du vent. Lentement dans le claquement des plaques de Poly-Chlorure de Vinyle transparentes du toit (le PVC est en fait du PCV).
Cette nuit, à nouveau, une chauve-souris a essayé de lire Désir nu. Pour preuve les traces de pattes sur la couverture des trois exemplaires et seulement ces trois livres-là, rien sur les autres livres à côté. Pour preuve les quelques poils que j’avais cru de chat et tu sais que ça se tisse me dit Erika qui expose à côté dans la grange, si si, assez grossièrement mais ça se tisse le peu de poils qu’il y a sur une chauve-souris (la Roussette) en Nouvelle-Calédonie pour les éléments de cérémonie. [1]
25 août 2016
Le RER ce matin, quatre femmes, quatre danseuses de la Compagnie l’Essoreuse.
Deux qui arrivent et deux qui rient plus loin. Sous les arbres on parlera de la pierre et du grès du sable et de sa couleur des bruits dans la carrière de la peau du territoire de la nôtre de peau et de celle de chacun. Elles tissent leurs gestes futurs, leur envies de gestes. Être rocher immuable là depuis toujours ou sable qui coule et qui s’imprime au corps qui pourrait, de la chute ou pas. Ah oui, on pourrait chuter. Des cheminements qu’elles feront.
Et je cours à la maison Cocteau. Je me trompe de parking et traverse Milly avec ma chaise lourde sous le soleil qui cogne.
Heureusement les pièces sont fraîches.
Lire. Lire Jean Cocteau et ses phrases belles et nettes douces qui s’arrondissent qui fondent ou qui claquent dans la bouche.
Et revenir le lendemain.
Ça, je sais maintenant, ce moyen simple à ma disposition : proposer deux jours. Deux fois. Constater la validité de la proposition. Pour une première fois et une seconde première fois qui s’enrichit de la veille, qui se détache des premiers enjeux pour mieux garder le jeu.
Jean Cocteau :
« Jeudi soir -11 heures (24 décembre 1945)
Depuis hier, j’ai les oreilles pleines de cette langue étrange, étrangère, presque slave, du monde à reculons. Je regarde mes acteurs vivre à reculons et je les écoute parler cette langue qui ressemble à une véritable langue parce qu’elle possède la même architecture que la nôtre. Cette langue est rude, rauque, agressive, lourde, retroussée aux pointes. »
Lire encore parce que celui-là écoute reste et prolonge son temps dans la pièce, le salon où la voix porte, où je peux chuchoter presque. Lire la dernière entrée du journal de la Belle et la Bête.
Au frais, je repense à hier matin, au jardin des plantes, les serres tropicales et le dessin de chaque feuille humide. La serre des milieux arides explose sous le soleil en plein sud.
28 août 2016
Puis, avoir un frère, qui retrouve l’ensemble des textes et qui me les enverra par la poste demain. Retrouver la trace donc.
7 septembre 2016
Mettre en page
un livre extérieur
qui résiste à l’eau et au vent
une quarantaine de (grandes) pages dans la forêt et dans la carrière
le journal de la résidence waterproof en somme
faire des montages des collages des essais
au soleil
dans le jardin
13 septembre 2016
"C’était inattendu.
Hier, c’était inattendu.
Et maintenant, tu ne nous regardes pas, tu ne nous vois même plus. D’ailleurs, tu t’éloignes tu escalades et tu te demandes, tu lui demandes. Tu la questionnes tu l’examines, la roche."
(à lire dans la rubrique pierres et voix)
14 septembre 2016
Expo Provok au Bal, cette revue japonaise qui fut choc tellurique en trois numéros, trois et rien de plus, qui ont redéfini en profondeur l’approche de la photo, la place du photographe, le poids de l’image le traitement le rôle la force, le message et son absence. Le choc persiste et réapparait sous mes yeux. Il se joue de nouveau, même aujourd’hui, saturés d’images que nous sommes, la valeur de celles qui faisaient rupture, de fait.
En trois numéros, secouer le monde et son image.
[1] À Saint Thélo en Bretagne, pour le festival Détissages, invitée d’honneur, installée dans la très belle et petite maison Kawamata.