Notes #8 - (2 avril - 7 mai 2016)
2 avril 2016
La colère dans le texte, écrire la constatation du monde masculin qui chaque jour s’impose se déclare s’autoproclame normalité.
« Oui la rage oui.
C’est à peu près ça.
Imagine. Un monde.
Tu te réveilles chaque matin, plus ou moins tôt d’ailleurs, tu allumes la télé le présentateur, jeune un peu incertain, peut-être, enfin, mais souriant ça oui et sa chemise un peu ouverte, un tout petit peu plus que la normale tu sais juste un peu et qui fait le beau pour annoncer les titres, et une femme, heureusement, sérieuse, élégante, qui reprend la main qui attaque le sujet tu vois le vrai, l’énoncé du problème, parce que le petit jeune là bon ça va cinq minutes. Elle se tourne vers ses invitées oui ses invitées.é.e.s les expertes, les expertes avec qui on va sérieusement discuter politique économique relations internationales et stratégie nationale. Sans un regard pour l’autre un peu godichon là mais joli à voir faut dire et qui fait des efforts mais y’a du boulot encore. Un monde.
(…) »
Me rendre compte, aujourd’hui, là, ouvrir les yeux et me rendre compte du peu que si souvent je scrute et juge comme avancée : une femme ici ou là, enfin ! Alors que le monde inverse ne serait pas toléré une seule seconde, sous aucun prétexte. L’invisibilité du féminin. Comme si le féminin était une minorité. Avec ce paradoxe du féminin objet de toutes les campagnes, argument de vente, qui vient pimenter presque chaque publicité.
Prendre un café dans une salle des profs et demander à voix haute : il faut vraiment une femme en soutien-gorge en gros (gros) plan sur toute la devanture de la machine pour me vendre un café instantané et un gobelet en plastique ?
20 avril 2016
Le château de Chamarande, l’exposition Sols fictions, les sols imaginaires, la vidéo de celui qui cherche le pétrichor, puis l’offrande à la terre de la coupe de lait nourricier séchée qui se désagrège.
Et rentrer et manger et dormir.
Prendre soin du sol - Martine Legrand et Anaïs Tondeur
21 avril 2016
Discuter. Avec Monsieur Boussard, de cette façon naturelle avec un peu plus de lenteur, due au silence et au temps qu’il lui faut pour écrire ce qu’il me dit pour que je lise à voix haute. Le dialogue avec ma seule voix, mais nos deux rires.
Les témoignages de poilus qu’il a retranscrits recopiés qu’il me fait lire, le procès verbal du décès accidentel à la carrière de son oncle, ou la plainte déposée contre les carriers par monsieur Le Roi. Copies en double dont un jeu pour moi de ces documents qu’il a trouvés aux archives départementales du Château de Chamarande.
Prendre sa voiture pour aller voir sa carrière, ses carrières.
Chemin sombre à travers les arbres.
Une terrasse claire se dégage en contre bas le sable à nu se voit de loin. À nu parce que les moto-cross tracent remuent creusent et que la mousse ne peut résister, sable à vif les sillons des pneus. Je descends face au front de taille. La roche, ses angles nets avec souplesse par endroits, parce qu’elle casse comme elle veut, suivant les failles qui ondulent, le mouvement dans la pierre qui apparaît qui fait le bord.
Le contraste à nouveau confirmé de la roche et de la douceur autour, le bruit assourdi par le sable la mousse et le lichen qui envahissent là où les motos ne vont pas, souple sous les pieds le sol meuble.
Plus loin une autre carrière, celle de calcaire où se taillaient les pierres des maisons. On sent la matière moins dure, plus légère, où même à la végétation s’installe où l’eau ruisselle et creuse plus vite plus facilement, là encore immense la falaise basse se déploie.
Plus loin le banc de grès réapparaît. Marcher dessus puis le sol se dérobe et descend d’un cran. La terrasse se dégage aux pieds. Le sablon sous la langue immense du bloc de roche continue. Ça fait des bouches effilées des sourires d’ombre qui affleurent le sol. Ici le front de taille fait 100 mètres de long. À combien reprend la pente naturelle ? À 50 m peut-être ?
C’est ce vide le travail dur le labeur le son les coups portés la détermination devant la pierre. C’est ce vide l’ampleur de la tâche la somme du travail qui a débité ce qui était là avant, dur pour Paris et ailleurs les places les rues des pavés des bordures. Le travail de tailler la montagne de ses mains y laisser la peau des doigts des bras sur la roche du grès vif.
Les lignes verticales des barres à mine de plus de 3 m parfois. Imaginer un instant ce que c’est que de planter une barre dans la roche la plus dure. À quatre ils étaient, un qui tient et trois qui frappent, la secousse que c’était à chaque coup de masse dans les bras dans les mains à la mâchoire le corps et le cœur qui tressaille sous le choc répété répété répété répété qui ne finit pas répété encore, puis cinq minutes ont passé alors un autre attrape la barre, toujours à trois qu’ils s’y remettent qu’ils se remettent à la tâche au labeur. Attaquer la montagne de ses mains et de ses outils qui s’usent qui ne tiennent que la journée qu’il faudra forger demain à nouveau.
La tâche immense d’une journée, une vie, à négocier avec la pierre lui imprimer de force en pointillés percés sur la ligne étudiée pour qu’enfin par son poids par ses tonnes au-dessus du vide de la mince langue d’air parce que le sable a été retiré, alors par son propre poids elle cède elle se découpe se détache s’arrache d’elle-même pour tomber de pas au haut, tomber de bas, mais qui fait valser tout de même, le choc dans le sable et la réalité du poids immense, la majesté c’est sûr, du rocher qui acquiesce.
L’après-midi, je propose à Pierre Giraud comédien qui vient : descends à Buno, il fait beau on travaillera et on ira au café une fois prêts.
On s’installe un peu plus loin vers le bois parce qu’il y en a d’autres qui écrivent théâtre jeunesse poésie. S’asseoir au bord de l’eau dans l’herbe, les fourmis sous le pull ou la veste. « Presqu’îl-e » version lecture ou version théâtrale. La sélection de Pierre : je lui avais dit comme tu as envie, choisis ce que tu souhaiterais lire je rajouterai ce que je lirai. Traverser le texte avec quelqu’un d’autre. On raye avec facilité un mot, un paragraphe, souvent avec le même élan, ça non, c’est pas la peine, ça non plus. Enlever, enlever et rire. Pas trop enlever quand même me dit Pierre.
Texte matière.
La liste de verbes, qu’il propose de répéter, comme une respiration nécessaire. On supprime les didascalies, on ne va pas jouer, on lira avec la voix et le mouvement, mais on garde chacun un appareil lui le téléphone et moi l’appareil photo.
Aller / à l’hôpital
Atteindre / la chambre
Attendre / l’opération
Arriver / au bloc
Compter / jusqu’à 10
Arriver / seulement à 3
S’endormir / chimiquement
Se réveiller / difficilement
Avoir / mal
Avoir / la nausée
Être / heureux
Être / curieux
Être / à deux
Rentrer / à la maison
Puis le bruit des grenouilles revient aux oreilles, on a terminé.
Et l’envie qui est là de dire.
Fébrile un peu, je le suis toujours, l’heure d’avant. Le trac.
Au café de Vayre s’installer, bouger une table puis une autre mettre les chaises là ou là non on ne va pas s’installer dans les fauteuils non pas trop de confort pour lire. Être vif.
Les gens arrivent puis je commence avec le témoignage de Thérèse qui raconte son père carrier. Ce texte me touche. Servir une autre voix, être un outil, un instrument volontaire.
Ça sera bien de lire ensemble ensuite, se répondre, entendre la voix de Pierre et entendre dans sa voix quand il est face à ceux qui écoutent et qui regardent tout comme j’entends dans la mienne : la tenue.
Ou au contraire ce qui s’échappe, l’émotion.
On convoque ce qui est dedans, le corps, l’histoire, les mots, le lieu et on y va.
Être là devant.
Cette fois lever les yeux de la feuille, m’adresser à.
22 avril 2016
La chaise reste là. On est vendredi et elle n’aura pas servi cette fois ce mois-ci, le manque de courage du dos. C’est pourtant bien de ça qu’il s’agit. Du courage dans les actes à mener. Si on veut que ça ait du sens. Me le redire encore.
Séverine Delbosq, danseuse, de la compagnie l’Essoreuse, nous a rejoints arrivée en RER. Rendez-vous au musée la collection d’objets et l’étrange ballet des personnes qui nous reçoivent élus collègues responsables. Ils se parlent et nous montrent par où passent leurs paroles, par quel chemin leur façon de communiquer, un peu d’humour un peu de mauvaise humeur feinte un peu de ronchonnade de railleries légères. Le jeu là sous nos yeux l’architecture invisible des conventions amicales professionnelles et qui sait politiques. La sensation de la démonstration. Du coup, la discussion méandre du verbe méandrer qui mouve, meuble, molle, mouvante et qui louvoie se glisse sinue en arabesques. On suit, spectateurs, on attend que les réponses arrivent, dans le fil louvoyant.
Les discussions ont eu raison du temps et on part à la carrière.
Elle est non spectaculaire, faille douce envahie, le front de taille se perd qui lui aussi méandre. « C’est de la roche pourrie ici, 70 % de déchets pour tirer les pavés. »
Plus haut un chêne n’en finit plus de s’effriter enchevêtré de ses branches.
À la carrière de Moigny, monsieur de Oliveira est d’accord pour les journées du patrimoine en septembre pour la restitution, donc ça sera de 10 à 12h et de 14 à 17 ou 18 heures. Deux journées complètes.
On est venu voir le sable et voir le bruit et ses couleurs et prendre un pavé. Du grès d’extraction clair presque blanc ou du grès naturel qui est gris de lichen, la calcite ?
Le sable ancestral se love en poche ronde et douce, probable bulles d’air emprisonnées qui n’ont pas permis de la compression, processus de formation du grès.
Le grès garde la trace du fer, de la rouille. Les pavés ocres à Paris le sont à cause de l’activité qu’il y a eu au-dessus d’eux, sur les bords de Seine notamment, ils le sont particulièrement, parce que caisses et chevaux et charrettes, le métal des roues cerclées s’y est frotté, fer arraché, la rouille s’est incrustée. Elle tatoue la pierre de sa couleur.
C’est plus facile de bouger l’abri que la pierre alors on s’organise en fonction de la météo.
Massette est un mot italien.
Une pointerole ici à un autre nom que j’ai oublié.
En partant, l’idée du témoignage de son père, avec le sien de témoignage. Je dis en remontant le chemin il y a aussi son fils, ce qui ferait trois générations chacun pourrait dire ce qu’il a connu.
Autour d’un café Séverine dit je peux fondre plus lentement ou plus vite si besoin. Elle garde le sable doux sans poussière il remplit ses poches et la capuche de son K-way.
S’entraîner, se mettre à l’abri des fines gouttes sous les grands arbres du jardin de la médiathèque, poser le pavé dans les iris, caché, Séverine danse puis je lis. Lancer les mots part de là ma feuille, entendre quelqu’un qui semble de l’autre côté du mur, qui peut-être entend et qui peut-être se demande.
7 mai 2016
Le plan pour la lecture dansée avec Séverine Delbosq, de la Cie l’Essoreuse.
1 — Arrivée de Séverine au rez-de-chaussée.
Elle est le rocher, elle m’a dit tiens, tu m’aides.
Sur ce rocher j’ai mis du sable. On passe devant lui pour prendre l’escalier.
2 — Au 2e étage témoignages de carriers.
Extraits — Thérèse, Roland et Roland.
3 — Au 1er danse et lecture maisons-poème.
Phrases des 7 nouvelles de maisons, en un seul texte.
4 — Au rez-de-chaussée, dans l’espace jeunesse.
Danse et Je passe. On ne le sait pas encore mais au dernier paragraphe, Séverine s’approchera et terminera assise sur la chaise que personne n’aura prise à côté de moi.