Notes #9 - (10 mai -15 juin 2016)

10 mai 2016
Tôt toujours tôt le train et je saute dans le bus. Arriver chez les éditions Creaphis. Déconstruire dépoétiser démétaphoriser le rapport à la pierre. Arriver à toucher le sens anthropologique sociologique et matériel au sens physique, arriver à toucher à la matérialité de la pierre du travail du geste.

Il me montre un livre d’artiste, livre exposition. Son intérêt toutefois oui la richesse de la résidence mais encore ? Là, c’est le moment du travail, ce n’est pas le lieu ni le temps d’un livre, il n’y a pas de projet éditorial en tête, dans la mienne, il y a l’envie mais pas de projet déterminé. Lui envoyer les dates pour visiter la carrière et celles de la restitution.

Avec Séverine Delbosq danseuse de la Cie l’Essoreuse. Discuter du geste, de la vidéo qu’elle a faite où elle lit mon texte où elle s’entraîne au soleil face au hublot de la péniche qui est sa maison sur le parquet de la péniche qui est sa salle de danse et de travail.
Il y aura trois phases dans la lecture dansée.
Le rocher massif est d’abord concentré condensé contracté.
Elle aura un collant couleur chair sur toute la tête pour que les cheveux s’effacent, eux qui marquent qui signent le corps humain. Fermer les yeux rentrer le visage le corps paré d’argile claire. Elle me dira juste avant de commencer tiens le sable tu en mets comme tu veux. J’aurais dû en mettre plus et nous aurions dû attendre la naissance du caillou son réveil lent au lieu de seulement passer le soir.

À la médiathèque le pavé est là dans le jardin là où nous l’avions caché.
Reprendre connaissance des lieux avec le déroulé en tête réfléchir tester rire, elle danse et je lis. On a enlevé nos chaussures pour ne pas faire de bruit, on s’est installées dans la maison car c’est d’une maison qu’il s’agit, d’une ancienne maison transformée en médiathèque.
On a étalé nos affaires on est là, il y a nos carnets, nos sacs, les textes, et quelque part de l’argile, du sable blanc et du sable ocre, un collant couleur chair et une robe noire. On teste l’ensemble, puis elle s’échauffe et je vais lire, à l’écart d’une de l’autre.

Le trac est là, je le reconnais, fébrile, l’enthousiasme légèrement bruyant et l’oubli de respirer qui fait que presque essoufflée mais tout va mieux la magie du verre d’eau.

Lecture dansée.
On commence.
J’avance je lis en marchant je lis dans le public et je marche. Séverine danse, elle exprime autrement, et de digressions en glissements de terrain d’entente raconte ce qui est dans le texte. Au secteur jeunesse c’est elle qui attend debout face aux vitres de la véranda. Je commence Je passe cette traversée des maisons cette mission professionnelle étrange.
Elle a retrouvé comme des fulgurances dira-t-elle ensuite qui sont venues alimenter cette danse un peu plus improvisée.
Il y a l’île et la pierre dans son travail la marche légère au-dessus du sol de ses doigts elle éclabousse qui en font un geste d’enfant c’est l’enfant que je suis qui s’écrit ah mais je connais je fais ça aussi, là ! C’est étrange cette force de presque rien du corps. Elle se déploie se glisse avance dans la matière négocie avec l’épaisseur de l’air autour d’elle, comme du sable comme des tuyaux dans lesquels elle met ses bras. Elle dit je danse avec des images dans la tête.

12 mai 2016
École de Maisse, classes de CM, 50 élèves.
Ils sont allés à la carrière de Moigny mardi dernier à vélo ils ont eu une visite-démonstration. Je leur lis un témoignage et on commence l’atelier d’écriture. Je leur impose : écrire « je », « nous », être un personnage le choisir le choyer le définir.
Je précise : ça peut être non humain, mais pas de science-fiction. Ils s’enthousiasment : on peut être un arbre un chat un chien un camion un outil un oiseau ? Le sable ? Le pneu du camion ? Oui. Il y aura : un cheval un chaton un carrier une fille un garçon un arbre un camion un éléphant.

Ensuite rencontre lecture à la maison de retraite avec la réunion de mi-parcours avec les officiels (BDP, PNR, CRIF [1]). Les résidents sont là nombreux attentifs souriants curieux bienveillants. Entre chaque morceau de lecture on discute ils évoquent une histoire un souvenir.
La dame qui écrit récite un de ses poèmes. Elle analyse mon texte et dit très justement : elle se pose beaucoup de questions tout le temps (la narratrice du texte Chez elle, sur ma grand-mère).
Enfant, on l’emmenait avec les cousins à la Sorbonne s’ennuyer à écouter des extraits de livres lus. Elle n’y est jamais retournée. Elle n’aimait pas ça. Et depuis des années maintenant elle écrit, tous les jours un poème. Elle dira : un par semaine mais c’est bien plus raconte l’animatrice admirative.
Une autre femme est de la région les noms, des familles, des villages, des lieudits ou des bois, que j’ai lus dans les témoignages, elle les connaît. Une autre enfin au cœur de la lecture s’écrira : mais vous lisez pour vous ! J’ai rougi aussitôt mais j’ai continué à lire en parlant plus distinctement. À la fin je demande peut-être que vous ne m’entendiez pas bien ? Mais je ne saurai pas ce qu’elle a voulu dire. Elle ne répondra pas.

Réunion. La résidence exemplaire par son programme son déroulé et la richesse, oui c’est indéniable. Redire ce qu’un tel dispositif permet à l’auteur.e cette occasion le cadre la concentration les opportunités l’engagement.
Ce n’est pas seulement des phrases pour un dossier de candidature et des écritures préalables pour validation administrative, c’est aussi, vraiment, quelque chose dans un territoire dans un espace-temps et des moyens, plus vastes que les miens propres en tout cas.

18 mai 2016
Réfléchir.
Ma main tremble un peu, c’est rien ça passera c’est comme ça parfois les mains tremblent. Organiser pouvoir faire le travail en soi c’est simple faut juste que je puisse tra-va-iller justement. Le musicien, les danseuses, le dessinateur, le circassien pour la restitution ? Peut-être enfin presque oui mais pas complètement donc finalement je ne sais pas peut-être pas du tout allez savoir. Des doutes.

Pour la vidéo : je voudrais dans la carrière le sable et le gris le geste les sons les pierres les pavés les camions peut-être la juxtaposition l’ambiance les sensations.
Peut-être le besoin d’une action, du déroulement d’une action ?
Des flashs.
Le même mouvement sur différentes formes.
Vu de la carrière, de la forêt puis découvrir, surplomber. Dans la forêt l’eau de l’Essonne chaque élément comme matière les feuilles et le vent les feuilles sèches parterre la chaise de dos assise sur la chaise mes feuilles qui volent. Essayer.

1er juin 2016
Juin est un mois chargé.
Il y a la colère nombreuse des grévistes et des gens debout, il y a la colère de la pluie et des sols malades partout qui refusent. Il y a l’imbécilité des hommes qui décident.
Il y a la persévérance pour arriver, pour se tenir droite et partager.
Lire mes textes et les mots des descendants de carriers lors de l’atelier d’écriture à la médiathèque. Le rire est communicatif et l’écriture sera personnelle pour chacune.

Laurent Herrou, écrivain que j’ai invité, arrive et on se dirige vers la pizzeria pour notre lecture.
Au premier regard quelque chose se fige.
Aux premiers mots la situation s’inverse.
On ne vient pas lire en terrain conquis mais là c’est d’autre chose qu’il s’agit.
Il s’agit de se voir regardés nous prendre les pieds dans le tapis et faire marrer pour la peine. Ce n’est pas de l’animosité c’est moins direct et moins clair.

Se dire sur une boutade prise au vol oui pourquoi pas lire la carte des pizzas tous les deux, lancer les noms et les ingrédients et s’interpeller au-dessus du bruit du bar. La performance envisagée avec appétit s’avère non pas ardue mais solidifiée. Non gagnée encore une fois c’est une possibilité, mais en terrain hostile et cynique c’est une donne nouvelle, qui parle des limites et de l’inutilité. Bien sûr on ne sait jamais où elle commence où elle s’arrête l’utilité. Ce qui ne fait pas réagir, ce qui se glace et qui tombe inerte sur le carrelage ne dit pas sa définitive inutilité, mais c’est une éventualité. Et une sensation.
Les limites de chacun. En face de nous il y a ceux qui tentent peut-être et qui ne le montrent pas et ceux qui refusent à tout prix de juste accorder un temps de cerveau librement. Effectivement. Aucune obligation. Aucune garantie. Tout est légitime.

« Très vite j’ai compris qu’ils s’en foutaient.
Que la maison c’était une maison comme les autres. Que les artistes, c’était des gens comme les autres. Voire moins bien que les autres. Parce qu’il y avait de l’argent à la clé. Que tout le monde le savait. Qu’ils se disaient : pourquoi je me casse le cul à servir un café à ce mec qui touche de l’argent sans rien faire ?
– C’était ça le problème ?
C’était un problème.
C’était un des problèmes. C’était au moins un problème au milieu de nombreux autres problèmes, sans doute plus compliqués. Il y a la notion d’élu dans la notion d’art. Pourquoi toi ? Pourquoi toi et pas moi ? Pourquoi c’est moi qui sers le café et c’est toi l’artiste ? Plutôt que de s’interroger sur ce que l’on fait ou on ne fait pas, on cherche un coupable. Et évidemment on le trouve.
(…)
Les artistes, c’est tordant. Ils viennent au village, en terrain conquis, ils croient qu’on va les accueillir, les apprécier. Ils se disent que tout le monde va leur ouvrir les bras. Mais pour qui ils se prennent ? Parce que ce sont des artistes, on va leur réserver un traitement de faveur ? Leur naïveté les fait rire. C’est con un artiste.
– Et les écrivains ?
Les écrivains, ça fait peur.
– Pourquoi ?
Parce qu’ils écrivent. Parce qu’ils ne disent rien.
Parce que leurs mots, c’est comme des coups de carabine, sauf que tu ne meurs pas. Tu les reçois en pleine gueule, tu as beau en extraire les plombs, les cicatrices sont indélébiles. Les mots des écrivains, il faut s’en méfier. Ils le savent tous, au village. Ils se méfient des mots depuis l’école. Ils savent que si tu fais une faute, tu te prends un coup de règle. Ils savent que s’ils n’apprennent pas leur leçon, ils reçoivent un coup de règle. Un bonnet d’âne. On les met au piquet. Ils deviennent à leur tour la risée du village. Au village, on n’aime pas les mots. On n’aime pas les lettres que l’on ne comprend pas. On n’aime pas les notables, les avocats, les notaires, on n’aime pas les gens qui se la pètent à coup de grammaire française. On n’aime pas les écrivains, mais eux, on n’a pas besoin de les aimer. Les avocats, ils peuvent toujours servir. Les écrivains, ils ne servent à rien. »

Laurent Herrou / Je suis un écrivain - éditions pulie.net 2013

Tout est légitime.
Ce qui ne l’est pas c’est la mauvaise volonté de ceux qui devaient faire suivre les affiches les flyers, qui ont été préparés imprimés découpés apportés, qui annonçaient.
Est-ce que ces morceaux de papier auraient changé quelque chose ? Peut-être.

Laurent lit fort que les artistes on s’en fout pendant qu’un des serveurs tout de même observe. Je lis un extrait de ce journal, pour dire la pierre, le grès, dire ce que c’est que de tailler dans la roche dure, le labeur, de l’affronter la débiter à la force des bras du corps, avec des outils pauvres. L’image résonne, éclaire, illustre. Mais on n’aura pas les mains en sang à vouloir lire. On n’aura pas non plus la forêt autour qui accueille malgré tout qui protège. On mangera des pizzas bonnes et la soirée à notre table sera ensuite délicieuse.

Il n’y a pas la forêt autour.
Et on ne reviendra pas.

2 juin 2016
Atelier maquettes au collège de Guigneville. On termine, ils terminent, leurs constructions à la main papier blanc et colle, stylos crayons règles ciseaux cutters interdits, les mains pour seul outil, pour tester voir avec les doigts fabriquer et résoudre, faire soi-même.

Puis les annulations arrivent, à cause de l’eau partout qui inquiète paralyse inonde et saccage chez certains. Avoir la chance que tout aille bien.

3 juin 2016
La nuit et la pluie sans discontinuer.
Au petit matin Minette du château attend collée derrière la porte de ma chambre curieusement. Je suis prête, je descends l’escalier la main sur la poignée de la porte je dit à l’animale tu veux sortir, je lève les yeux tiens je t’ou... vre.

Le jardin est un lac.
Et le lac, une marche plus bas, rentre dans le salon par toutes les portes vitrées, Minette confirme son impossible accès aux croquettes, d’où son insistance silencieuse à mes jambes.

De la cuisine je verrai que la voiture qui n’est pas à moi a les roues dans l’eau. Bien bien. Il ne pleut plus. L’Essonne qui entoure le petit Château déborde partout, les canards nagent devant la porte et squattent le mobilier de jardin.
Après conseil et cellule de crise en cuisine à l’autre bout du fil, je vais tenter la sortie de la voiture de l’eau. Les croquettes et la Minette sont au premier, le piano à été mis sur cales la veille. Jambes nues dans l’eau glacée traverser le pont, et puis non, demi-tour traverser par l’autre pont, ouvrir la porte de la voiture. L’eau véritablement affleure au ras de l’intérieur c’est une affaire de centimètre d’un centimètre de plus qui la remplirait d’eau. C’est une affaire de minutes, de dizaines de minutes ?
Elle démarre voyez-vous à l’instant et les roues agrippent miraculeusement l’herbe sous l’eau. Alors sans question, immédiatement conduire en marche arrière dans un lac limpide et calme, deviner le chemin ses quelques dizaines de mètres. Et je sors et je pars, persuadée encore que je reviendrai dormir ici ce soir.

La rencontre-lecture du soir est maintenue, sans la venue de Barroux, dessinateur.
Le bâtiment juste à côté arbore fièrement "Cie des Eaux".
La grange vide et majestueuse est ouverte, au fond une grande porte coulisse et on découvre les fauteuils dépareillés et le feu dans la cheminée. C’est accueillant et douillet. On sera moins nombreux que prévu, on sera plus près les uns des autres parce qu’on aura rapproché les fauteuils et je pourrai parfois baisser la voix pour chuchoter mes textes.

Le soir tard les déviations et les routes coupées. Accueillie pour la nuit et covoiturage pour le retour le lendemain. On s’organise et ça marche.

15 juin 2016
Rendez-vous avec Johann le Guilherm, de la compagnie Cirque Ici.
Dans le parc des herbes hautes partout, les pavillons coloniaux se désagrègent.

On arrive face à deux bâtiments en briques, un qui tient debout et l’autre qui hésite à côté. On passe par la réserve on traverse l’atelier les bureaux sont à l’étage. Deux trois pièces deux trois cafés, Johann est là, avec Didier qui s’occupe de l’organisation technique et Charlotte qui m’a interpellée dès la gare, nous arrivions ensemble. Je dis : je vais être impressionnée un petit moment. Il sourit ou se demande.

Installation par Johann le Guilherm, à chaque fenêtre du pavillon.

Plus tard j’ai pu dire à quel point Secret m’avait touché. Ce mélange de concret qui est là sous la main qui est forme et matière qui est objet élément constitutif du réel qui est dans l’espace, qui s’y trouve comme le corps de celui qui expérimente et dialogue. Bien sûr on peut dire la force poétique oui la poésie de ce qui se passe sous nos yeux, des tensions des discussions sans parole qui se construisent des structures des gestes ou des matériaux qui s’échafaudent. J’ai aimé ce spectacle, chaque partie comme le tout, jusqu’à chaque instant de glissement d’un numéro à l’autre.
Je parle de la résidence et des deux axes de développement : les carriers et Presqu’îl-e.
Il demande : et ma place là-dedans ?
Je redis la liberté d’envisager ce que l’on veut.
Que pour moi importe le lieu extérieur, une ancienne carrière ou celle en fonctionnement, qui est une ouverture une découverte une proposition après un cheminement, car dans tous les cas il faut venir à pied marcher dans la forêt puis au détour du chemin quelque chose. Une installation une discussion une monstration. L’idée de base c’est le pavé pour lui c’est le pavé il fait les croquis pendant que l’on discute encore. Il faudra que je prenne les mesures de ceux qui s’y trouvent.
Envisager peut-être. On verra. Laisser mûrir et reprendre un café puis retraverser le jardin et sourire. Penser à se souvenir que les bus se prennent dans les embouteillages et les travaux comme les autres et voir comme les demi-heures défilent.

8 août 2016
T T+

[1BDP : Bibliothèque départementale de prêt de l’Essonne - structure qui accueille la résidence
PNR : Parc Naturel régional du Gâtinais Français - co-structure
CRIF : Conseil régional Île-de-France - qui finance en majeure partie la résidence