Carnets d’atelier du Rebours /4
Classe de seconde MRCA
Avril
Parfois il faut se rendre à l’évidence de l’échec. Plier. Admettre. Cette classe de seconde ne « prend « pas. Hormis une ou deux filles plutôt dociles et un garçon sage avec une chaîne et des cheveux crantés façon Mike Brant mais qui paradoxalement joue dans un groupe de rock. Les autres, des rebelles, parfois même un brin revêches. Des qui font que ce qu’ils veulent et comme ils ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent... Comme par hasard, c’est la seule classe où je suis seule, sans professeur pour des raisons liées à l’agenda.
Aujourd’hui je propose un texte extrait de mon roman Corps qui parle de l’importance à vie d’un prénom. Le texte ne prend pas non plus. Ils me disent les yeux dans les yeux qu’ils ne l’aiment pas. C’est pas pour nous, ça, Madame. Pire, ils ne comprennent même pas qui ça peut intéresser et me demandent combien j’en ai vendu ! Ça fait toujours plaisir…
Pour autant je n’arrive pas à les trouver hostiles ou pervers. C’est de la vérité brute, c’est tout, je l’accepte. Quand je leur parle d’un projet de sketch pour un spectacle de fin de résidence, une lueur semble se rallumer dans des yeux jusque-là bien éteints. Hélas les questions concernent davantage les conditions de la représentation. Y aura qui ? Quelles autres classes ? Des filles ? Ah, nos parents aussi peuvent venir ? A la question ils donnent eux-mêmes tout de suite la réponse, évidente, nette : Non, mes parents, pas question, et quoi encore, on fait pas un spectacle de maternelles Madame !
Bon, alors, on fait quoi de ces sketches ? Je lance une idée en l’air, et si on simulait la situation de l’accueil dans un grand hôtel ? Une personne pas claire se présente dans le hall. L’hôtesse pas rassurée appelle le vigile à la rescousse. Tout de suite les élèves ont une idée que je trouve géniale : et si le ou la relou était en fait un people Neymar ou Beyoncé ? Excellent ! Et au moment où il défait sa cagoule, stupeur et tremblement ! Bravo ! Banco et distribution des rôles. Ça se bouscule pas au portillon. Ils enfilent leur costume de people d’hôtesse ou de vigile en traînant les savates, mais ils se lancent. Prennent même un certain plaisir, mais pas assez il faut croire. La séance suivante ils refusent de jouer, le soufflé est retombé. Seules trois filles sur dix élèves acceptent de continuer la partie et encore en râlotant. Mais quand les gars de la classe demandent s’ils pourront tout de même assister au spectacle, ma réponse fuse, catégorique, c’est niet ! Et puis quoi encore ? On n’est pas à la maternelle !