Mais tu as donc une chambre quelque part ?


Sylvie Camet, en résidence au tiers lieu Faire-Liens (Paris) en 2023-2024.


Mise en demeure

– Mais tu as donc une chambre quelque part ? À l’étage ? Dans le fond ?
– Comment tu te débrouilles entre ton appartement et le Tiers-Lieu ? Un va-et-vient entre les deux ?
J’étais en résidence sans résider.
C’était toute la bizarrerie de l’affaire. Personne ne m’hébergeait, je rentrais chez moi banalement après chacun des rendez-vous. Il n’y avait pas de bureau à m’offrir.
Le paradoxe tenait à l’organisation de promenades littéraires. C’est-à-dire qu’à peine entrée, il me fallait sortir… Avec les autres alors, on déambulait dans Paris, on ne prenait même pas le métro, on marchait, marchait encore… Et toujours je lisais des textes, nous cherchions sur les porches et les façades la trace d’une résidence d’auteurs qui dans ces lieux avaient vécu, d’auteures qui étaient venues jusqu’en France, avaient hanté la ville quelques mois, quelques années, en étaient reparties.
Paradoxales encore étaient les invitations d’écrivains, un soir, ils ou elles prenaient place, toujours effeuillaient leurs livres puis s’en retournaient, on balayait les coques des cacahuètes, lavait les verres rougis de vin, on éteignait la grande lumière des plafonniers, la veilleuse de nuit s’enclenchait, le silence tombait, en allés dans la nuit nous n’étions plus que la mémoire de quelques lignes.
– Mais tu écris ? Tu dois écrire ? Tu dois remettre un texte en fin d’année ?
– Tu en es où finalement ?
J’étais en résidence d’écriture, sans résider, sans publier.
C’était la deuxième bizarrerie de l’affaire, effacer son travail derrière l’exaltation du travail d’autrui.
C’était le sens du retournement : de les entendre, de les commenter, de les citer, de les convoquer, cela faisait étrangement avancer.
– On ne te voit plus ?
– Tu réponds plus ?
J’avais fini de résider, fini de composer, c’était mon tour d’être racontée.



Antonin Crenn, en résidence au lycée Charles-de-Gaulle (Paris) en 2020-2021.


Depuis que je l’ai quitté, le lycée Charles-de-Gaulle a disparu. Non pas le lieu, mais l’entité qui regroupait les gens dans ses murs, pour enseigner ou étudier, s’ennuyer souvent, subir les jours, s’amuser parfois, trouver des ami·es. En résidant là-bas en 2020-21, je n’y habitais pas : je venais une ou deux fois par semaine, c’est tout. Le lycée a fermé, mais je n’y suis pour rien. Le proviseur qui a signé la convention, avant même que débute ma résidence, a obtenu sa mutation dans une république du Caucase. Ça n’a pas de rapport avec moi. Et Frédéric, le prof avec qui je travaillais, vient de changer de métier. Mais là non plus, ce n’est pas ma faute. D’ailleurs, nous sommes toujours amis. Preuve qu’on m’aimait bien : je suis revenu l’année d’après, puis la suivante, pour deux ateliers. Et à la fin de 2023, les élèves restants ont été éparpillés dans les autres lycées du secteur. Les adultes, dispersés idem. Ce qui reste de tout ça ? Mon roman Rue des Batailles paraîtra au printemps 2025 : j’ai commencé à l’écrire pendant cette résidence, alors que j’avais proposé un autre projet, resté à l’état d’idée. « Résider », c’était autre chose qu’habiter entre ces murs : c’était écrire (seul, chez moi) et aller au lycée pour faire le contraire, c’est-à-dire l’autre facette de la vie que j’aime : rencontrer des gens. Puis les quitter. Tous ? Il y a eu ce garçon, élève d’aucune des classes avec lesquelles je travaillais, qui traînait seul au CDI : une conversation curieuse, puis quelques messages polis, et, un an plus tard, lui proposer un café. Aujourd’hui il a vingt-deux ans et nous nous connaissons bien. Il n’écrit pas. Il me montre ses dessins, me parle de sa vie, toujours dans le même café, comme un rituel. Ça n’était pas dans mon projet de résidence, et ç’a eu lieu quand même.



Séverine Daucourt, en résidence au Palais de la Femme (Paris) en 2015-2016, à l’Hôpital de jour de Montsouris (Paris) en 2020, à la librairie le Merle Moqueur (Paris) en 2023.


Résider. Se retirer dans un asile temporaire, avec l’impression paradoxale d’être exposée, face aux autres mais aussi parmi eux, car pas chez moi. Aimer ça, détester ça. Osciller, jusqu’à trouver la concentration. Habiter l’ailleurs et le moment. Eprouver, depuis ce lieu, le désir de m’adresser. Ecrire, ou écumer de ne pas écrire. Interrompre parfois la suspension pour converser, ou pour d’autres actions obligées. Se réjouir de pouvoir doublement se réfugier – dans le texte quand il avance. Ecrire plus encadrée et plus durablement. Ecrire plus en sûreté, car assurée un temps d’être payée pour cette absence au monde. Contre toute attente : il n’est pas si évident d’en profiter. Essayer.

T T+