Penser les possibles de la scène
Lucie Rico était en résidence à L’étoile du nord (Paris 18), où elle a présenté plusieurs performances en collaboration avec d’autres artistes.
 Quel est votre rapport au départ à la scène ? à l’oralité ? à la performance ? à la lecture à haute voix ? Quelle importance cela a-t-il dans votre écriture ?
 Quel est votre rapport au départ à la scène ? à l’oralité ? à la performance ? à la lecture à haute voix ? Quelle importance cela a-t-il dans votre écriture ?
Bien avant d’écrire des livres, j’aimais raconter les histoires. Mon premier rapport à l’écriture est celui de l’oralité : j’inventais des histoires - des contes et des histoires qui font peur - pour qui voulait bien les entendre, mes cousins, mon frère, mes amis. Je continue cela : je raconte souvent mes livres avant de les écrire, et cela m’aide à les structurer, à les voir. C’est une manière de mesurer mon désir pour un livre : si je ne le raconte pas, c’est que je n’ai pas envie de l’écrire.
Donc l’oralité est plutôt présente avant l’écriture que pendant. J’écris au milieu des conversations des autres, dans des cafés, des trains, mais je reste silencieuse. Dans le processus d’écriture, je ne lis à haute voix mon texte qu’à sa toute fin ou dans les moments de blocage, lors desquels je m’enregistre lisant le passage qui me pose problème, comme pour l’éloigner de moi, l’entendre de manière extérieure.
Pour mon rapport à la scène, c’est encore différent. J’ai été très timide, peu sûre des mots que j’employais, et j’ai souvent vu le fait de monter sur scène comme impossible. Pour moi c’était comme imposer ma parole. Cette idée m’a poursuivie longtemps.
 Quelles différences et points communs voyez-vous entre les deux écritures, pour un public de spectateurs ou de lecteurs ?
Quelles différences et points communs voyez-vous entre les deux écritures, pour un public de spectateurs ou de lecteurs ?
D’abord, celui du rythme. Chaque lectrice, chaque lecteur, lit à son rythme et je crois que c’est fondamental pour notre rapport au livre. Cela participe au fait que chaque lecture, et chaque image créée par le texte, est unique. Dans une performance, l’expérience est commune, et de cette manière, beaucoup plus dirigée. J’aimerais travailler sur des formes de performance où cette ambiguïté (sur quoi l’on s’arrête ? qu’est-ce que l’on regarde ?) est conservée. Dans la dernière performance, en même temps que je performais mon texte, un autre texte s’affichait. Son rythme variait. Le spectateur pouvait ainsi s’accrocher plus ou moins à un texte ou un autre. J’aimerais une performance dans laquelle on pourrait déambuler comme dans un livre !
 Comment vivez-vous ces moments de partage avec le public ? que vous apportent-ils ?
 Comment vivez-vous ces moments de partage avec le public ? que vous apportent-ils ?
De manière assez ambiguë. Tout est dans ce mot de la question « partage ». Le rapport scénique impose parfois une rupture entre la scène et les artistes et il m’est arrivé de me sentir très seule en lisant mon texte. Les moments de rencontre avec le public, structurés autour d’un dialogue en plus d’une lecture, me sont beaucoup plus naturels.
En revanche, et cela rejoint la question précédente, ce que j’aime dans la performance est le fait d’entendre le texte dans un espace et un temps communs. Je travaille également dans le cinéma, et la performance rejoint le temps de la séance : le fait de se rejoindre pour assister ensemble à un spectacle, et cela me touche et me plaît beaucoup.
Surtout, j’essaie de m’entourer pour chaque performance de personnes sur scène qui apportent autre chose à mon écriture. Pour GPS c’était Mathilde Forget, qui est également écrivaine et musicienne, et qui a vraiment pensé la version scénique du texte avec moi. Pour La Partie, le roman que je suis en train d’écrire, ce sont Geoffrey Rouge Carrassat, qui est metteur en scène, et Sarah Benedicckuk, qui est streameuse et artiste numérique.
Ainsi, je suis toujours surprise, je me déplace et le texte aussi. C’est là l’endroit du partage pour moi : d’essayer de penser une performance qui ne soit pas seulement la version orale d’un texte. Je ne verrais pas d’intérêt à partager le texte du roman tel quel. Pour moi, une performance réussie est une œuvre à part entière et se détache du livre dont elle est issue.
La scène est à la fois un endroit très excitant et fragilisant : dans l’écriture, on crée un monde. On a tous les pouvoirs, toutes les possibilités, et le temps que l’on souhaite pour chercher le bon mot, revenir en arrière, douter. Ce temps-là m’importe : je ne rends un texte que quand il a eu raison de moi, qu’il est, d’une certaine manière, achevé. La scène au contraire, échappe. Chaque représentation est différente, tout peut s’y passer. C’est un endroit de lâcher-prise. J’ai eu l’occasion de participer à Vive le sujet ! Tentatives l’année dernière, lors du festival d’Avignon. C’est la chorégraphe Balkis Moustachar qui m’y avait invitée : nous y dansions un duo qu’elle avait chorégraphié tout en disant un texte que j’avais écrit pour l’occasion : Rien d’exceptionnel. Le fait d’avoir été mise en scène, et de jouer chaque soir m’a beaucoup appris et notamment comment jouer de cette frontalité entre le public et la scène.
 Que vous a ouvert la résidence à cet endroit d’écriture ? avez-vous pu explorer des champs nouveaux ? tenter des expérimentations ?
 Que vous a ouvert la résidence à cet endroit d’écriture ? avez-vous pu explorer des champs nouveaux ? tenter des expérimentations ?  
 Envisagez-vous des prolongements pour la suite ?
Envisagez-vous des prolongements pour la suite ?
Toute la résidence a été un endroit d’exploration à cet endroit. Et c’était très précieux. Etre dans un théâtre comme celui de l’étoile du Nord, qui favorise ces croisements entre artistes (et qui avait d’ailleurs encouragé ma rencontre avec Balkis Moustachar), m’a portée vers cet endroit d’écriture. J’ai pu y rencontrer un metteur en scène, Geoffrey Rouge Carassat, avec qui nous envisageons une performance / mise en scène ambitieuse de mon prochain texte. J’ai passé plusieurs mois de la résidence sur cette écriture scénique, à faire de la mise en scène, à penser mon texte avant qu’il soit écrit. A faire de la recherche pour apprivoiser ce nouvel endroit d’écriture qui me semble très pertinent pour penser le « sujet » de mon prochain roman, les jeux vidéo. Dans les jeux vidéo, l’écriture est interactive, elle suppose un jeu avec le joueur et les concepteurs. J’aimerais tenter, d’une manière ou d’une autre, de mêler l’écriture littéraire à cette autre écriture en mouvement. La résidence m’a donné le temps de penser les possibles de la scène.