Toujours nouveau et expérimental
Pierre-Vincent Chapus était en résidence à la Ferme du Bonheur (Nanterre, 92). Il poursuit un travail théâtral de longue haleine avec le centre d’accueil de jour de Gagny. Leur revue musicale créée pendant la résidence, SONOS !!, est écrite « à partir de la parole d’individus aux histoires et parcours différents, autour de leur manière de vivre et ressentir les phénomènes musicaux et sonores ».
SONOS !! est né des cendres de notre précédente création NOVELTY, qui nous avait laissés abrutis de satisfaction (public conquis + partenaires satisfaits), puis profondément tristes (de nombreux deuils et maladies à traverser entre 2021 et 2023). Avec NOVELTY, nous avions dessiné ce lieu fictionnel, extensible à l’infini, « Gagnyngham », lieu pour celles et ceux qui ne sont d’aucun endroit, pays sans capitale, réalité multiple, blason et blague pour renverser les stigmates de la marginalité choisie ou subie. SONOS !! poursuit donc le cours de la vie à Gagnyngham, différemment, presque comme un négatif photographique du spectacle précédent. Etonnant d’ailleurs de voir que la première image de SONOS !! est la dernière de NOVELTY... Nos enjeux sont donc sensibles et mémoriels, ceux de la trace, de la mémoire, du désir et de sa constante reformulation. Dans une de ses chansons, Gérard Manset dit qu’on voudrait revivre pour refaire le même chemin. Je crois que tous les textes de SONOS !! (sauf celui de Habibou, à la toute fin du show) sont dans ce ressassement, cette mise en question de ces vagues mémorielles et amoureuses (car SONOS !! parle beaucoup d’amour, en vrai, et de sexe, de pisse, de vomi, de pourriture et de bière, de déluges de bière !), et cela passe par la musique, sa physicalité, car la musique est sans doute le meilleur vecteur sensuel de tout notre jus de cerveau et de cœur. Une chanson, un morceau, un son est un vaisseau qui charrie temps et espace, et c’est ce que l’écriture a essayé de restituer, de rendre visible comme on prend par surprise un fantôme (si tant est qu’on y croit). L’écriture se fait donc par flots, au plus près des personnes de Gagnyngham avec lesquelles je travaille, côtoie, vit depuis près de 15 ans (et j’associe grandement mon amie Fleur Sulmont, formidable autrice pour le coup, et loyale partenaire de crime, venue à Gagnyngham il y a 4 ans). Les textes sont les témoignages de cette vie-là, périphérique pour d’aucuns, essentielle à mon parcours. Rétrospectivement, je ne sais pas si c’est l’écriture qui a fait mon théâtre ou l’inverse ; j’ai l’impression d’être un ignare dans les deux domaines, pas légitime, marginal, ridicule, imaginez qu’on puisse s’intéresser à mon travail théâtral ou d’écriture me semble une vaste blague. Mais je remercie. Maman m’a bien élevé. Alors, merci. Au fond, tout ceci est accidentel, Gagnyngham, cette aventure qui dure depuis si longtemps, ces gens subaquatiques, périphériques, semi-gazeux aussi, beaux aussi, tellement beaux... Pas de méprise, je reste très conscient de la valeur de mon accident et totalement impliqué dans ma mission. Je sais que des textes ont été écrits, lus, appréciés, des spectacles vus, que cela a touché des gens. Malgré tout, je ne connais toujours rien du théâtre, ni de la littérature, même si je lis et que je vais voir des spectacles. Peut-être simplement un sentiment de non-appartenance, une envie de ne pas “en être” ? Ou peut-être tout simplement trop con ? Franchement, il y a peu de sujets que je maîtrise à fond (Robert McLiam Wilson et Lawrence) et je passe bien trop de temps à écouter de la musique électrique, très fort, seul, toutes lumières éteintes (un ami m’a offert récemment un subwoofer, c’est formidable les basses fréquences). Il n’y a donc pour moi aucune différence entre mon écriture pour la scène et celle pour des lectrices, des lecteurs : c’est comme un rêve, tout ça. Tout est alors toujours nouveau et expérimental (expérientiel ?) pour moi, pour Gagnyngham, et la résidence a donc permis le confort que donne l’argent : le temps, la liberté de créer sans la crainte du frigo à remplir pour un bon bout de temps. Alors, merci encore, la résidence. Merci pour la confiance, merci pour le coup de pouce. La suite, on l’écrira lors de nos visibilités spectaculaires puisque SONOS !! va donner lieu à des représentations (une déjà en mars dernier à Nanterre, chez notre ami Roger des Prés et sa Ferme du Bonheur, et c’était bien), à Arcueil, Avignon en septembre, puis Nantes en octobre...