Post-résidence, 2
Le narrateur de La Plume empoisonnée, d’Agatha Christie (trad. Michel Le Houbie), nous prévient au chapitre 2 :
Je m’aperçois que j’ai mal commencé. Je n’ai pas décrit Lymstock et, si je ne comble pas cette lacune, mon récit restera incompréhensible.
L’autrice se permet cette pirouette, cette intrusion presque, car ce besoin exprimé par Jerry est celui d’Agatha Christie de nous mettre en place le décor après avoir présenté le personnage du narrateur. Elle nous le dit carrément, pourquoi pas.
J’aurais besoin d’intervenir à chaque page de RRK pour expliquer ce que j’ai mal commencé. D’ailleurs, en ce moment, au mépris de toutes les règles du écrire-efficace, au lieu de poursuivre l’aventure noiséenne, le démontage et la recherche de pavillon sur une autre ligne, je relis et corrige mon manuscrit depuis le début. Je nettoie les passages surlignés en jaune (signifiant : à retravailler, mal dit, resserrer) et en orange (signifiant : à supprimer), et tous les autres (signifiant : rien à faire, mais en fait si), et je corrige pas mal, rien de fondamental, sauf à deux ou trois endroits, attention aux répercussions, ondes de choc, oublis. J’avance donc, même en reculant.
Tu penses à quoi, Édouard, est-ce que tu penses à la guerre, à ce que c’est ? – Non, je ne sais pas si on peut penser à la guerre, ça veut dire quoi ? C’est comme ça, elle existe, pas comme si elle avait été inventée – Tu dirais ça ? Je ne sais pas, elle était un cheval au galop, puis c’est devenu une motocyclette qui ouvre la route pour l’aviation… Elle s’invente chaque jour – Peut-être. En tout cas je ne sais pas ce qu’elle invente aujourd’hui, encore moins pour demain. Je suis aujourd’hui, dans l’action, j’ai quelque chose à faire, c’est commencer par attendre – Tu ne poses pas des questions, quand tu vois le métal foncer sur les routes de macadam ? Tu as entendu parler d’avions automatiques ? – Non, mais j’imagine. La guerre, ça s’imagine, peut-être.
Édouard Jung est un personnage qui a pris plus d’importance, presque, dans mon texte, que Keller. C’est le premier qui arrive à Noisy, qui écoute, qui passe du temps dans ce quartier. J’avais même peu de méta-données sur lui (où était-il, et quand ?), et il s’est déployé facilement, naturellement, comme personnage de fiction. J’ai poussé jusqu’à "trouver" son journal intime : un carnet de factures, comme celles sur lesquelles sont transcrites les écoutes, au jus de citron, où Édouard Jung écrit, au crayon papier, au jour le jour, son journal de Noisy. J’ai écrit ça à la main dans un vrai carnet de factures, créant ce personnage jusqu’à ses peurs, ses rêves, son quotidien, et j’ai offert ce livre aux Archives, pour clore la résidence. Le voici, scanné, compilé en PDF :