Travailler la fulgurance
Christine Guinard est poète et performeuse. Elle était en résidence à l’espace Andrée-Chedid d’Issy-les-Moulineaux (92).
À voir en vidéo, sa performance Vous étiez un monde, créée autour de ses recueils poétiques.
Quel est votre rapport au départ à la scène ? à l’oralité ? à la performance ? Quelle importance cela a-t-il dans votre écriture ?
Au départ j’ai une écriture qui ne se pense pas comme « orale » c’est-à-dire qu’il y a une forme de densité qui ne recherche pas nécessairement la possibilité d’être transmise à des spectateurs. Même si j’ai très vite ou toujours eu le sentiment qu’une lecture « à voix nue » vaut son pesant d’or et qu’on croit parfois devoir la troquer pour une mise en voix plus scénarisée pour ne pas craindre d’ennuyer : il faut faire confiance au silence, à la puissance de la langue (infinie) alliée à un grain de voix.
Je suis venue ensuite à l’envie d’avoir une palette plus large de tons, un remodelage possible du texte pour la scène : je suis musicienne depuis toujours, piano, chant, et puis danse, je connais l’alchimie de la convergence sur un espace privilégié de la voix, du texte, du corps, de la lumière, de la musique. Il est difficile de se passer d’une telle grâce, ou d’une telle puissance ou d’une telle pureté du geste.
Quelles différences et points communs voyez-vous entre les deux écritures, pour un public de spectateurs ou de lecteurs ?
On pourrait dire que le matériau reste le même, en tout cas le mien et c’est une intention : parvenir à faire passer cette éventuelle densité d’une écriture travaillée par la couleur de la voix déposée sur scène, alliée ou non à la musique, dialoguant ou simplement soutenue par musique, mouvement ou projection. Il ne s’agit pas d’alléger nécessairement le matériau, même s’il m’arrive de le faire. Plutôt, ça m’intéresse profondément de jouer avec cette densité et de voir ce que le devenir air-son-poids-geste propose. Travailler la fulgurance, qui est déjà celle de l’arrivée de mes textes en moi.
Mais l’on doit veiller à une forme d’épure tout de même, à ne pas cumuler les sources d’informations en même temps. Il reste et j’y reviens toujours, que la langue est surpuissante et qu’à elle seule, elle suffit déjà à véhiculer le grain, la couleur, la forme, le mouvement… Donner à lire, c’est se déposer comme on écrit d’abord, dans le silence et le temps plus ou moins long.
Comment vivez-vous ces moments de partage avec le public ? que vous apportent-ils ?
Il y a la peur, le trac immenses, mais aussi l’intensité de ce moment qui ne connaît pas de réplique, qui permet d’être émotion dans l’air, dans l’espace. Ce que l’on perçoit du public qui écoute a une valeur particulière, c’est un grand soutien. C’est comme si sans cesse le son faisait aller, retour et retravaillait le son à venir. Et puis ensuite la question de l’effet produit sur les spectateurs, ce qu’ils dégagent, ce que les visages ou les corps manifestent, puis ce qu’ils viennent nous en dire.
Que vous a ouvert la résidence à cet endroit d’écriture ? avez-vous pu explorer des champs nouveaux ? tenter des expérimentations ?
Envisagez-vous des prolongements pour la suite ?
J’ai pu expérimenter divers contenus et travailler à deux voix ou avec la musique (trompette, piano). Je remercie l’Espace Andrée-Chedid pour les possibilités qu’il m’a offertes de faire entendre mon écriture.
Je regrette de n’avoir pu me lancer dans une exploration plus avant dans le travail et l’expression de la voix, mêler le chant, je suis en train d’y venir cette année et il m’aura manqué un peu de temps de résidence.
Je pense oui, explorer encore la correspondance ou le tissage texte, voix, musique, travailler la forme du rituel.
D’un autre côté, le passage d’une langue à l’autre, les langues concomitantes, la traduction de mes poèmes, celle par moi d’autres langues, tout cela a été abordé aussi, de manière ponctuelle en apparence, ou historique (retour vers l’exil et l’héritage qu’il induit) mais pour le travail qui continue de se faire sans se dire, c’est réellement un chemin en devenir.