Des ateliers et d’archiver la résidence

Dans les magasins d’archives, tout en bas, au frais, il y a eu plusieurs visites, pour les agents de la ville. Il y a un intérêt de tous pour ce lieu, pour l’archive. Le groupe se rassemble entre les registres d’état civil et paroissiaux remontant au 17e siècle, et les étagères vides qui reçoivent, temporairement, les cartons de "neuf" qu’il faudra classer.

Il y a des tiroirs à plans, à affiches. Des pochettes en polyéthylène, ou polypropylène. Des boîtes en cartons sans acide.

Le plus vieux document date de 1536, c’est un titre de propriété. C’est un parchemin, lui-même copie d’un original. Le plus récent document conservé est le magazine de la ville du mois de juin 2023. Ils se sont côtoyés quelques minutes devant un groupe de CM1 aux yeux émerveillés. Et puis les textes qu’ils et elles avaient écrit en classe sont allés dans une pochette, qui est allée dans un carton, qui contiendra les traces de cette résidence, et sera étiqueté d’une cote, et déposé sur la tablette d’une travée, dans un épi de magasin. Pour combien de siècles ?

Il faut jeter aussi. Trier, conserver en partie, et éliminer beaucoup. Plus le temps passe, plus il faut jeter. Ce qui concerne l’Occupation à Noisy tient dans douze cartons. Il y 2,2 kilomètres de linéaires, dont 1500 mètres occupés. Principalement par ce qui est récent. Plus on recule, moins on voit ; ou alors plus on voit net ? J’imagine que la décroissance du nombre de documents par année suit une loi de répartition comme celle de Benford.

Doit plutôt suivre aussi les lois républicaines, sur le temps de conservation légal par exemple. Mais aussi, la loi du souvenir. Sur de vieilles diapositives de trente ou quarante ans, comment reconnaître ce qu’il s’y passe, sans autre notation ? Valérie Barbier-Vaillant est aussi une mémoire humaine de la ville, capable de reconnaître un élu oublié, une rue transformée, un bâtiment détruit. Comment archiver la mémoire de l’archiviste ?

Les formats évoluent, après un an passé ici, je comprends l’inintérêt de la question "allez-vous tout numériser ?" Maintenant, je crie "Surtout pas !" Ou alors numériser, mais pas pour remplacer le papier. En dehors du travail monumental, à initier (tout scanner, étiqueter, vérifier, mettre en base de données...) il y a le travail à suivre (évolution des machines, des logiciels, sans garantie que tout cela dure, la société d’informatique qui ferme, les formats qui évoluent au gré du marché et du besoin imaginé des consommateurs, et non des besoins de recherche). Alors que le papier, je le vois, il est là. Il est stocké par 20 degrés max, dans un air brassé, avec sécurité incendie et inondation. On a placé les registres d’état civil près de la porte : s’il n’y a qu’une seule chose à sauver...

Dans une résidence pour personnes âgées, la direction travaille sur l’archive. Conserver les délibérations des résidents pour choisir le nom de l’établissement par exemple. Les affiches des événements. L’annonce de ma conférence. Une mémoire locale au sein de la mémoire locale de la ville. Il y a ce rêve de pouvoir tout conserver. Le public s’étonne du tri, de la non-numérisation, de l’absence. Ainsi est notre propre mémoire, on n’a pas accès à tout, sinon, comme Funes, le personnage hypermnésique de Borges [1], la société deviendrait peut-être folle.

Il connaissait les formes des nuages austraux de l’aube du trente avril mil huit cent quatre-vingts et pouvait les comparer au souvenir des marbrures d’un livre en papier espagnol qu’il n’avait regardé qu’une fois et aux lignes de l’écume soulevée par une rame sur le Rio Negro la veille du combat de Quebracho.

Pour moi, la résidence se termine le 1er juillet, à 15h, à la médiathèque Georges-Wolinski de Noisy. Des documents seront exposés, près des textes d’atelier. Des participants aux ateliers, peut-être dès 8 ans, liront des textes, avant que je ne lise un nouvel extrait noiséen du Réseau Robert Keller.

Le roman n’est pas terminé, je vise le printemps 24 pour ça. Pour en suivre l’écriture, après la publication d’extraits, ici, la notice sera mise en ligne à mesure de l’écriture, à cette adresse.

17 juin 2023
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[1Recueil Fictions, traduit par Nestor Ibarra et Paul Verdevoye.