MAN-chronique n°12
Faux et usage de faux : la science du moulage
La première fois que je suis entrée dans le « laboratoire » de Philippe Catro, il était en train de reproduire des objets paléolithiques : les copies partaient pour le Japon, à l’occasion d’un prêt du Musée pour une exposition itinérante qui devait faire étape à Fukushima. Catherine Schwab, la conservatrice des collections du Paléolithique, n’avait pas semble-t-il l’intention de laisser partir les originaux au pays du Soleil Levant, dans un environnement accessoirement radioactif... Un ravissant petit harpon en os de renne était déjà moulé, en attente de sa patine. Une fois réalisé, il serait impossible pour un non-spécialiste de le distinguer de l’original.
Philippe Catro avait également à portée de main un moulage de la Dame de Brassempouy, la minuscule figure emblématique du musée, dont l’original ne quitte pas la salle Piette. Ce que j’ai vu sur la paillasse de son atelier ce jour-là m’a tout de suite donné envie de revenir et de découvrir son travail de faussaire de haut vol. Il m’a accueillie une deuxième fois début novembre 2019 et j’ai découvert la remarquable organisation d’une activité consubstantielle au musée : la fabrication de moulages.
Philippe Catro cite d’entrée de jeu Abel Maître, sculpteur, premier mouleur de Sa Majesté, qui entre au « musée des Antiquités celtiques et gallo-romaines » dès 1866. Abel Maître le bien nommé qui, jusqu’en 1850, a dirigé l’atelier de moulage du Louvre. À partir de 1861, il a commencé à réaliser le moulage d’objets issus de fouilles archéologiques, qui vont bientôt remplir les vitrines du nouveau musée. Il dirigera les ateliers de moulage et de reproduction à Saint-Germain-en-Laye pendant trente ans. C’est ainsi que, depuis l’origine, une partie du « mobilier archéologique » (comme on appelle tous les objets issus de fouilles) est moulé et reproduit.
Ce sont les fouilles d’Alésia, sous Napoléon III, qui vont donner naissance à l’entreprise des moulages. Dès 1864 on commence à mouler, en particulier des objets du musée de Carnac, menhirs, dolmens, et autres gros mégalithes chers aux lecteurs d’Astérix.
Les objectifs sont multiples : conserver une copie des originaux, bien sûr, mais aussi faire des échanges avec d’autres musées, et enfin vendre des moulages. Sous la direction d’Abel Maître, travaillent alors cinq ou six personnes. Un véritable atelier...
Celui de Philippe Catro est installé rue Thiers, en face du château, dans le petit bâtiment tranquille où travaille également Catherine Schwab (cf. chronique n°4), et juste à côté de l’atelier d’Anabelle Palignac (cf. chronique n°9). J’ai eu l’occasion d’y venir plusieurs fois, d’abord parce que c’est un lieu imprégné d’un charme particulier, ensuite parce que j’ai souvent tenté de saisir Philippe Catro en plein travail, un travail d’artiste, d’artisan, d’inventeur, de technicien de pointe, de formidable faussaire et de remarquable observateur.
Il faut beaucoup de talent pour reproduire des objets à l’identique. La technique ne suffit pas, même si elle est essentielle. Comment devient-on technicien d’art et restaurateur d’objets archéologiques ? Car Philippe ne se contente pas de reproduire les objets, il les répare et les restaure.
La musique classique envahit l’atelier, une grande pièce blanche aux larges fenêtres exposées à la lumière septentrionale, la plus constante et la plus douce. Philippe m’explique qu’il ne pourrait pas travailler ailleurs. Je comprends qu’il règne ici bien autre chose qu’une lumière adéquate et des outils qui s’alignent sur les paillasses. Il y a derrière ce décor presque anodin la présence muette des objets.
Voir un harpon en os du Paléolithique en dehors des vitrines, posé sur le plan de travail tandis que Philippe peint son double à l’identique, soulève en moi exactement les mêmes émotions que celles qui surgissent devant chaque objet venu du fond des âges, parvenu presque intact jusqu’à nous. Toujours ce même sentiment de parcourir les millénaires en un clin d’œil, comme si, de ceux qui ont sculpté dans un os cette délicate aiguille à chas jusqu’à nous qui devisons dans cette pièce, il n’y avait qu’un instant, qu’une continuité sans interruption, presque une collusion.
Philippe Catro est sans doute aussi habile et adroit qu’un homme ou une femme du Magdalénien, car pour copier ces objets, il faut une grande dextérité. Cela n’appelle pas les mêmes compétences, sans doute, mais les mêmes gestes précis, maîtrisés avec les années de pratique, la même ingéniosité, la même science du matériau, de son aspect, du traitement spécifique à lui réserver. Ceux qui ont sculpté les objets qu’il reproduit avaient sans doute, comme lui, un rapport particulier à la matière – bois, os, métal, terre, pierre – pour insuffler, dans ce qu’ils créaient de leurs mains, quelque chose de plus grand que l’objet lui-même, de plus spirituel que la matière brute employée, de plus animé, si l’on peut employer ce terme pour de « simples » objets.
Philippe Catro est entré au Musée au début des années 1980, autant dire qu’il a énormément de choses à raconter, à commencer par la manière dont il est arrivé ici et qui donne à voir les méandres mystérieux qui gouvernent les destinées humaines. Formé à l’origine au moulage industriel en lycée technique, il se présente au concours de restaurateur. Il y a alors trois postes à pourvoir, dont deux au MAN ; il est affecté à Saint-Germain-en-Laye, dont il connaît le château depuis l’enfance.
« Le moulage, m’explique-t-il, est un objet de négociation. » Cela permet de résoudre certains problèmes de conservation préventive, mais aussi de faire des échanges avec des chercheurs qui possèdent des pièces de mobilier archéologique qui intéressent le musée. Avec la plus riche collection archéologique au monde pour le Paléolithique, le MAN a de quoi négocier...
Et puisqu’on parle technique, Philippe me montre et m’explique les différentes étapes du travail de moulage. Une des techniques les plus utilisées dans ce domaine est la coulée sous chape : il faut d’abord réaliser la chape de plâtre en deux moitiés, de manière à pouvoir pratiquer une coulée d’élastomère « sous chape » — l’élastomère viendra remplir le vide entre l’objet et la chape — et obtenir une empreinte par moitié de l’objet. La réalisation d’un moule nécessite pas moins d’une douzaine d’opérations, dont entre autres : protection de l’objet, recouvrement, plan de joints, coulée de plâtre, protection des chapes avec un vernis, coulée d’élastomère, travail des chanfreins, démoulage, dégagement de la protection de l’objet, coulée d’une résine teintée dans les creux obtenus par l’opération de moulage... Autant d’étapes qui réclament minutie et grande attention, car le moulage devra être l’exacte réplique de l’original. Voici donc notre chape...
Par ailleurs, l’objet original à reproduire a été protégé par un film alimentaire, puis recouvert avec de la plastiline pour créer l’épaisseur de la « masse élastomérique ». Celle-ci est installée à l’intérieur de la chape, dans laquelle est ensuite coulé l’élastomère liquide auquel on ajoute un catalyseur. L’ensemble catalyse et durcit en quelques heures (entre une et douze, selon les cas). Philippe Catro aime à employer le vocabulaire adéquat, on sent qu’il accorde autant d’importance aux différentes manipulations qu’à l’expression juste de son travail.
Étape suivante : dans le moule en élastomère on coule une résine préteintée (Philippe formule lui-même ses teintures) et il n’y a plus qu’à attendre que l’ensemble sèche et se solidifie. Une fois la copie en résine démoulée, il faudra enfin la « patiner », ce qui là encore révèle une technique éprouvée, mais aussi une expérience forgée au fil des décennies. C’est très impressionnant de voir avec quel soin et quelle fidélité Philippe Catro est capable de rendre les teintes de l’os, de la pierre, de la terre cuite.
Confectionner des moulages n’est qu’une partie du travail de Philippe Catro, et encore lui est-il arrivé d’exercer cette activité « sur le vif » lorsque les pièces étaient trop volumineuses pour être déplacées. Il me raconte comment il a moulé sur place trois énormes fours de réduction de minerai de fer en terre cuite, d’époque gallo-romaine, découverts aux Clérimois (Yonne) sur le tracé de l’autoroute A5. Ce n’est un exemple de la grande variété de son travail.
Au fil des années, Philippe a participé à des opérations très ambitieuses, comme cette prise d’empreinte d’une paroi gravée à 2 000 mètres d’altitude dans la Vallée des Merveilles. Plus de 40 000 gravures de l’époque protohistorique (Néolithique et âge du Bronze ancien) y sont réparties sur vingt zones. Constituées de successions de points creusés par martelage de la roche, elles figurent différents motifs (personnages, objets, figures animales). L’étude de ce site était alors dirigée par l’anthropologue et préhistorien Henry de Lumley, qui travaillait sur le mont Bégo depuis 1967, en collaboration avec des équipes du muséum national d’Histoire naturelle qui se sont succédé pour établir des relevés.
Philippe me montre des photos prises en 1990. Il est spectaculaire de voir l’équipe de mouleurs estamper la couche d’élastomère sur la paroi protégée par une interface liquide, puis une fois celle-ci durcie, réaliser une chape en résine qui servira, une fois retirée, de maintien à la « peau d’élastomère ». Ils pourront alors retirer cette peau, la rouler, puis la transporter avec la chape jusque dans la vallée.
Les moulages feront par la suite l’objet de tirages en résine exposés au musée archéologique de Tende (Alpes-Maritimes), ce qui a permis à la fois de présenter les gravures à ceux qui ne pouvaient pas monter les admirer, mais aussi de réglementer l’accès à un site patrimonial relativement fragile.
Dans le laboratoire de Philippe Catro, une pièce abrite des rayonnages où sont rangées, par gisements, des boîtes contenant certains objets emblématiques du Musée, soigneusement emballés et répertoriés. Philippe sort quelques boîtes, déballe divers objets, me montre comment il a restauré certains d’entre eux, comme ce propulseur trouvé sur le gisement de Rochereil (Dordogne), conservé au musée national de la Préhistoire des Eyzies. Il s’agit souvent de matériel archéologique mal conservé, ou abîmé lors des fouilles. Plonger dans les boîtes tirées au hasard des étagères fait surgir beaucoup de souvenirs.
Au moment de la première exposition sur les Mérovingiens (Trésors mérovingiens d’Ile-de-France, MAN, 1997), il faisait tout, se souvient-il : la restauration des œuvres, le soclage, la régie des œuvres, la muséographie. Le service s’est étoffé depuis, sans pour autant atteindre les effectifs des débuts du musée, du temps d’Abel Maître. Philippe Catro voit néanmoins avec satisfaction et soulagement avancer le fichier numérique, pris en charge par une jeune stagiaire, Émilie Grévy. Je l’ai rencontrée lors de ma première visite. Elle a fait son mémoire de M1 en muséologie avec Corinne Jouys-Barbelin, sur la collection de moulages du Musée. C’est elle qui m’apprend que le fichier des moulages, repris dans les années 1960, comptait alors quelque 5 800 fiches.
Émilie, en stage pour deux mois à l’automne 2019 dans le bâtiment qui abrite l’atelier et la réserve, a repris ces fiches carton écrites à la main, qu’elle recopie sur un tableau Excel. Lorsque je l’ai vue début novembre dernier, elle venait de rentrer en un mois environ 3 000 fiches, et elle poursuivait le travail : le fichier numérique est aujourd’hui achevé. Sur le tableau Excel, apparaissent pour chaque moule le numéro d’inventaire, la désignation, la date de création du moule, la matière, la technique, les dimensions, le type d’inscription, l’état (« très mauvais pour les élastomères des années 1960 », me dit-elle), le sujet ou le thème, la date de l’objet moulé, la situation dans les réserves (le numéro d’étagère = une lettre et un chiffre). À la rubrique « observations », la description de l’objet, sa provenance, le nom des fouilleurs, et quelques précisions pour localiser le moule.
La réserve des moules, parlons-en... Je ne l’avais encore jamais visitée, mais aujourd’hui, Philippe m’emmène au sous-sol. Dans cette grande cave aux voûtes en brique, se serrent sur des étagères des milliers de moules de formes variées. On dirait une bibliothèque où les moules en plâtre auraient remplacé les livres. On peut les prendre, les ouvrir, et découvrir la forme qu’ils cachent en leur cœur. Parfois, se trouve à l’intérieur un modèle qui permettra de ne pas utiliser l’original. Ce modèle, le plus souvent, n’est pas encore patiné, c’est un exemplaire incolore du moulage. Des Vénus apparaissent, plus ou moins anciennes, des visages, des corps, des outils, des objets magnifiques, d’autres plus ordinaires, tous surgis du passé.
Arpenter les allées de la réserve est aussi l’occasion pour Philippe de me faire découvrir les différentes méthodes adoptées au fil des décennies, et surtout l’évolution des matériaux... La plastiline et l’élastomère n’ont pas toujours existé et il fallait trouver des solutions qui permettaient de démouler l’objet sans l’abîmer. A l’époque d’Abel Maître et des premiers mouleurs, on fabriquait des moules à pièces en plâtre : les différentes parties du moule étaient assemblées et reliées à l’extérieur par un jeu de ficelles permettant de garder chaque pièce mobile, afin de faciliter le démoulage.
Et puisqu’il est question de techniques, de retour dans son atelier Philippe Catro me montre une pièce réalisée par le scanner 3D du C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France) : il s’agit du « faon à l’oiseau », une tête de propulseur sculpté datant de l’époque magdalénienne (environ -15 000 ans), découvert en 1954 dans la grotte de Bédeilhac (Ariège).
La fragilité de l’objet, en particulier les yeux du faon en pierres incrustées dans l’os de renne, empêchait qu’on réalise un moulage classique de cette pièce. L’objet a été scanné et le fichier numérique envoyé à une entreprise spécialisée dans l’impression 3D. Philippe Catro a reçu trois exemplaires de la réplique en résine époxy incolore. Ne reste plus qu’à patiner les trois copies : l’une ira au C2RMF, l’autre entrera dans les réserves du MAN, la troisième, non patinée, permettra la réalisation d’un moule et restera à l’intérieur.
L’intervention de Philippe sur cet objet ne consiste pas seulement à restituer la couleur de l’original, mais aussi à corriger certains détails sur l’impression 3D : il reproduira à la main sur la résine brute certains détails de la matière, les pores de l’os, précisera les incisions et les traces de pigment. Puis il utilisera l’une des copies pour fabriquer l’empreinte en creux du moule, dans lequel il coulera une résine teintée dans la masse, proche de la teinte originelle du petit faon. Enfin, il appliquera la patine, avec la dextérité et la finesse qui sont les siennes.
Dans l’atelier, je reconnais une cuirasse de Marmesse, comme celles qui sont exposées dans les salles de l’âge du Bronze. C’est une copie, ce que j’aurais été incapable de distinguer, même de près. À l’intérieur de la cuirasse, les traces d’oxydation du métal sont bien visibles. Et pourtant, il s’agit d’une résine peinte. La mystification est stupéfiante. Ce n’est pas Philippe qui a réalisé cette copie, mais c’est lui qui va devoir trouver une astuce pour la restaurer. Le haut de l’avant de la cuirasse s’est fissuré à l’endroit de la suture des deux parties. Il faut trouver la méthode de restauration la plus adaptée. C’est, en quelque sorte, du bricolage intelligent. Cela me rappelle cette phrase du sculpteur Alexander Calder (l’homme des mobiles) : « je n’aime pas le bricolage, mais j’aime bien bricoler. »
Philippe Catro va essayer plusieurs techniques de son invention, jusqu’à ce qu’il finisse par découvrir celle qui permettra une réparation durable, invisible si possible. Pour l’instant, il teste la teinte à appliquer sur la languette en résine qu’il va fixer à la colle forte pour réunir les deux parties.
C’est toute cette cuisine qui me fascine dans son travail, car elle ressemble à celle dans laquelle évolue l’écrivain quand il tente de rendre compte du réel, de le « reproduire » à sa manière, et qu’il fouille pour cela dans sa « boîte à outils », celle où s’empilent en vrac métaphores et personnages, ellipses et oxymores, allégories diverses et références plus ou moins évidentes à notre culture collective. Ce que crée Philippe Catro lorsqu’il réplique les objets du passé est une sorte d’extension du temps, laquelle, usant des matériaux les plus récents et des technologies de pointe, tente d’abolir les siècles et les millénaires, de faire fi de l’usure et de l’outrage pour inventer un présent toujours vivace, que rien dans notre esprit ne saurait altérer.
Est-ce au même tour de passe-passe que souhaitait nous convier Edouard Piette lorsqu’il légua sa collection au musée des Antiquités nationales, à la condition que sa présentation ne change pas et qu’elle demeure éternellement pareille au cadre qu’il avait donné, au début de XXe siècle, aux milliers d’objets paléolithiques qu’il avait mis au jour ?
Philippe a bien sûr participé, de 2004 à 2008, à la rénovation de la salle Piette, joyau dans la couronne du Musée, lorsqu’elle a été restaurée à l’identique. C’est dans cette petite salle du deuxième étage qu’est conservée, à l’abri d’une vitrine, la fameuse et minuscule Dame de Brassempouy, emblème du Musée, dont il a reproduit souvent la ravissante figure.
Que Philippe Catro moule aujourd’hui des objets découverts à la fin du XIXe siècle, lorsque la discipline archéologique n’en était encore qu’à ses débuts, me semble significatif de cette longue chaîne jalonnée de formes et de figures emblématiques, mais aussi de la figure des principaux découvreurs qui ont fourni et constitué les belles collections du musée. Dans les registres illustrés qu’il a tenu des différentes missions et travaux de sa longue carrière, figurent les belles assiettes de Suse (Iran) issues des fouilles de Jacques de Morgan, que Philippe a restaurées en 1984. « Ce fut mon premier boulot, commente-t-il, je venais d’arriver au musée. »
On le voit également, en stage de post-recrutement au laboratoire de Vienne (Isère), restaurer un vase en verre bleu brisé en plusieurs morceaux. À l’aide de petites agrafes, il « recoud » le verre dont il a assemblé et collé les tessons. Là, il moule une copie en réduction de Vénus de Milo, ici il remonte un bas-relief gallo-romain réduit en pièces.
En réalité, il sait tout faire. Et ce qui est remarquable dans la longue carrière de Philippe Catro au MAN, c’est la variété des travaux de restauration et de moulage qui ont fait de lui non seulement un spécialiste plus que reconnu de sa discipline, mais un artisan riche d’une expérience extraordinaire, à la fois aventure personnelle hors du commun et parcours dans le champ des techniques passionnantes. Rendu presque au terme d’une longue carrière, il garde la mémoire de tous les progrès qui ont été faits dans la science du moulage et de l’évolution des techniques mise à disposition des archéologues.
Vénus, silex taillés, céramiques, propulseurs, harpons, haches, flûtes, tous ces objets sont devenus, au fil des années, des compagnons de route qui ont leurs habitudes dans son atelier. Philippe Catro les manipule comme il toucherait de vieux amis, mille fois observés et sondés, mais dont le mystère ne cesse de nous interroger. C’est une histoire muette qui se raconte à travers la réplication, celle de notre ignorance indéfiniment dédoublée ; l’histoire que murmure la réparation en est une autre, qui cherche à préserver ce que le temps dans sa sublime indifférence a morcelé, saccagé, détruit et que nous cherchons à faire revivre, comme si les objets, en retrouvant la forme qu’ils avaient des milliers d’années plus tôt, pouvaient ramener avec eux, à la surface du présent, ceux qui les ont fabriqués, portés, utilisés, chéris peut-être et chargés d’un sens à jamais inconnu.
En écrivant cette chronique consacrée à l’« atelier des moulages », j’ai repensé à l’un des premiers ouvrages du philosophe Clément Rosset, Le réel et son double, qui m’a paru illustrer parfaitement l’activité de Philippe Catro. Rosset disserte sur les différents aspects de l’illusion, le dédoublement du réel servant à nous protéger d’une réalité trop brutale que nous serions tentés de nier ou de fuir. Rosset cite Montherlant : « car ce sont les fantômes qui sont cruels ; avec des réalités, on peut toujours s’arranger ». Il me semble que Philippe Catro, qui touche plus que quiconque les « réalités » de la matière, s’en arrange en effet plutôt bien.