Sourire identitaire
Omar Youssef Souleimane est en résidence chez Racines et Horizons (Argenteuil, 95).
Son nouveau roman en cours d’écriture, entre autobiographie et fiction, sur le thème de l’exil et de l’impossible retour, a pour titre provisoire L’Arabe qui sourit.
Avant tout, l’identité pour moi c’est l’intégration, s’intégrer et être prêt à intégrer les autres cultures dans la sienne. Ce qui crée une diversité. Je pense que ce dernier mot est le synonyme de l’identité collective et individuelle. Dans mon travail, elle a une place essentielle, vu que je viens de Syrie, récemment naturalisé français. J’ai donc deux côtés. Je pense que l’un n’efface pas l’autre, au contraire : l’un nourrit l’autre. Dans mes romans, la question de l’identité est aussi liée à l’appartenance, à la cohérence entre soi et le monde qui nous entoure.
Mon roman en cours raconte l’histoire d’un Syrien réfugié en France, Salim, qui reçoit la nouvelle de la mort de son meilleur ami et décide d’aller lui rendre un dernier hommage. Mais à Beyrouth, tout a changé. Il est revenu pour comprendre, pour guérir sa mémoire, mais il est de plus en plus perdu. D’un autre côté, l’image de son ami résistant n’est qu’une illusion : il découvre que ce dernier était impliqué avec des jihadistes. Tout devient flou dans l’esprit de Salim, à l’exception d’une seule chose : sa liaison amoureuse avec la photographe Delia.
Salim est exilé partout : en France il est considéré comme Arabe à cause de son origine, à Beyrouth il est le Français d’origine syrienne, il ne peut même pas aller voir sa mère en Syrie. Cette situation dure le rend plus libre, léger, souriant malgré tout. Rien ne mérite que l’on soit triste face à une vie où domine la perte. En effet, son sourire est sa seule identité. Pendant sa jeunesse, être heureux n’était pas une bonne idée dans une société qui traitait la tristesse comme une marque de sagesse, être joyeux dénotait un manque d’esprit.
Comme je ne peux pas rentrer en Syrie, je cherche à y revenir au moins à travers l’écriture, une manière de guérir le vide.
Je est un autre : j’adore cette phrase de Rimbaud. Je pense que l’autre est le miroir à travers lequel chacun se découvre. Dans notre époque, avec les crises identitaires, communautaires, la séparation entre les humains créée par la technologie, je pense qu’on a besoin, surtout les jeunes, d’un attachement à son environnement et aux valeurs qui nous réunissent ; dans ce contexte, le je devient plus clair, solidaire et libre grâce à l’autre.
Je croise régulièrement des jeunes nés en France sans ressentir aucune appartenance envers ce pays, ils disent qu’ils sont Marocains, Tunisiens, Algériens. Pourtant, ils ne parlent pas leur langue d’origine, la majorité n’est jamais allée au Maghreb.
Les élèves de l’association Racines et Horizons à Argenteuil, où je suis en résidence, ont écrit des dizaines de textes littéraires sur plusieurs thèmes réunis sous le titre Vivre ensemble : des lettres adressées aux jeunes de leur âge vivant sous un régime totalitaire afin de montrer les valeurs de la démocratie ; des textes à propos de ce qu’il leur manque de la France quand ils reviennent dans leur pays d’origine, ou sur l’avantage et l’inconvénient d’être français ; des lettres adressées au nouvel arrivant : est-ce qu’on lui conseille de rester en France et pourquoi ? L’écriture est une expérience magnifique pour comprendre, s’épanouir, poser des questions. J’ai invité une écrivaine iranienne, Mahtab Ghorbani qui a eu un échange très riche avec les élèves. Elle a témoigné sur sa vie en Iran et son asile en France. On continue ces ateliers qui seront présentés lors d’un spectacle à la rentrée de septembre.
Le sujet des ateliers et celui de mon roman sont liés : ceux qui sont d’origine étrangère souhaitent revenir, même pour un jour, pour comprendre les changements de leur terre natale. En même temps, il est très important qu’ils soient intégrés dans leur nouvelle société, et trouvent un équilibre entre ici et là-bas.