Textes des étudiants du Master (L’Ogre Paillasse au pays des Poucets)

Lors du premier cours de mon atelier d’écriture, Damien Masson, maître de conférences en urbanisme, est venu présenter le concept de « géographie des émotions  ». Tous les étudiants ont été invités àécrire un texte àla suite de cette intervention. L’un d’eux, Thomm Coalporter, a préparé ce dossier sur ces « premières impressions.

Mathieu Simonet


Les Lacets noirs

Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé àça…

Je ne saurais dire.

Peut-être parce que j’ai tiré le rideau…

Je ne sais pas.

J’ai vu ses lacets.

Encore faits.

Ça a surgi.

Comme ça.

Mon corps plié sur une chaise et ma pensée aux lacets.

Je ne sais pas si c’est le débit de la parole de l’intervenant qui coulait trop vite ou bien moi au ralenti, obsédée par cette pensée, peut-être, sà»rement d’ailleurs, peut-être, oui, peut-être parce que j’ai tiré le rideau.

Le soleil àsa place.

Dans le ciel.

Et ses rayons, sa chaleur, sa lumière arrêtés par le rideau.

Stop.

Noir.

La lumière dehors.

La lumière de la vie derrière la toile du rideau.

De l’autre côté.

Peut-être la toile était-elle de la même couleur que le drap…

Je ne sais pas.

Je ne saurais le dire.

J’ai toujours imaginé qu’il avait noué ses lacets une fin de nuit au moment où le relai àla vie se fait. Quand les rangées de tubes métalliques que l’homme a plantées dans les rues pour s’éclairer s’éteignent et que ça sent bon les croissants chauds sur les trottoirs et que le bruit est encore un silence sourd comme les prémisses du tsunami sonore àvenir.

Elles partent où les émotions quand on les a ressenties ?

Elle loge où notre Madeleine ?

Le sais-tu ?

Le sait-il ?

Je n’ai pas posé la question.

Je crois que c’est une question qui ne se pose pas.

Faut éviter de poser des questions qui n’ont pas de réponses.

Et je vois des choses défiler.

Des couleurs.

Des tracés sur des cartes.

Des personnes font des couleurs et des tracés sur des cartes.

Ça passe par des fils.

Tu m’entends …

Par des fils.

Ça passe par des fils et ça se projette sur un écran.

Nos émotions.

Capture écran des émotions.

Selfie intérieur.

Figé l’éphémère.

L’impalpable.

Google Maps émotionnel bientôt sur vos IPad.

Entrez votre émotion de départ.

Entrez votre émotion d’arrivée.

De la peur d’un point A àla joie d’un point B.

Ou de l’inquiétude matinale d’un point W vers l’épouvante d’un point X.

Tu crois qu’elles se superposent les émotions sur les points ?

Que ça devient des strates où chacun laisse la sienne ?

Une sorte de tour de Pise invisible et infinie…

Partir vers 6.00 du matin, les lacets faits, àmoitié endormi un dimanche pour pouvoir demain leur envoyer, oui, demain envoyer àeux moitié salaire. Enfin. Patron toujours retard pour payer. Superette demain pour acheter pain et conserves du mois. Bus toujours retard.

C’est parce que j’ai tiré le rideau.

C’est sà»r.

Peut être parce qu’on était en hauteur aussi.

Un petit nœud. Une bague.

Puis un double nœud.

Aux deux pieds.

Il n’avait sà»rement pas envie de trébucher ou de se baisser pour les refaire.

Il n’y a pas de temps àperdre quand on est làhaut.

Peut être aussi parce ce que sa mère lui avait montré comment faire et depuis toujours : lacets, double nÅ“ud.

Un portable vibre.

Je vois la carte et le tracé rouge de la vie d’une maman aux Etats Unis.

Il a dà» partir àpied, il n’a pas dà» attendre le bus de peur d’arriver en retard. Il a dà» hésiter devant la boulangerie, il s’est dit non, économiser, moi devoir économiser. Il a pensé àses frères et àsa sÅ“ur, il leur a promis. Ionela ira en ville. Etudes. Moi payer pour elle.

On est fiers de toi, lui a dit la pudeur des yeux de ses parents.

Quelqu’un pose une question.

J’entends le bruit des stylos et les doigts qui prennent des notes sur les ordinateurs.

Le frottement des vêtements sur les sièges. Les respirations.

Je pense àIonela.

Ionela en Roumanie.

À ses contours.

Une sensation de bulle.

D’être dans une bulle.

Une bulle géante de savon.

Frontière avec ce qui se passe sous mes yeux.

Paroi multicolore.

Paroi arc-en-ciel, comme les fascias qui recouvrent nos muscles.

Cette fine peau qui se voit quand on coupe la viande.

Voilà, mes fascias comme hors de moi.

J’étais comme retournée.

Poreuse.

Réceptive.

Mais de l’intérieur.

Imbibée d’intériorité.

Comme un appel en dedans.

Madeleine sà»rement.

Obsédée par des lacets.

Les siens.

Le double nœud.

Il a dà» marcher, dans le froid, longtemps, réchauffé par ses espoirs. Il n’y a pas de répit pour les hommes des toits. Même les dimanches. Même pas payé double. Faut couvrir les charpentes. L’hiver, le dimanche elles ont froid. Le patron avait blagué.

Il a toujours une photo d’eux sur lui, dans sa poche arrière. Il la regarde tous les matins. C’est la bouteille de vin qu’il n’achète pas. Ça le fait tenir. Enivré par la pensée de les serrer dans ses bras. Ça lui vole un sourire dans son 10m² -rdc-côté-parking-vue-sur-autoroute.

Ce n’est pas la peine de sortir le pouce. Personne ne le prendra. Mal rasé, pantalon souillé de ciment, lacets double nÅ“ud sur chaussures de travail montantes. Lui qui a serré des cÅ“urs là-bas avant de monter dans le bus de nuit, n’est qu’une ombre, ici à6.00 du matin. Un danger potentiel pour tout automobiliste au chaud dans sa voiture.

On finissait de manger.

La spécialité de Jean-Patrice.

Faut qu’il arrête de cuisiner.

Gérard avait engueulé le présentateur TV…

J’avais mis de côté la viande.

Les fascias j’aime pas.

Cet arc-en-ciel sur cette viande morte, il y a comme une provocation envers la bête.

Le bip sonne.

La caserne s’agite.

Le papier s’imprime.

On est de une.

On décale.

Gyrophare.

Sirène.

Le papier se lit :

Chute du troisième

Homme

30 ans

En arrêt.

Le défibrillateur en main

J’ai pensé àRimbaud.

J’ai vu ses lacets.

Et ses 2 trous rouges au côté droit.

Point X.

Croix sur point X.

Arrivée àdestination.

Rideau.

Nathalie B. Roger






Le vote avec les pieds. Cela veut dire que plus les gens aiment un lieu, plus ils le piétinent. Pauvre sol.

Imaginons un sol sensible àl’impact des pas. Les pas lui font mal. Ou un sol qui éprouverait des émotions en fonction de comment les gens marchent. S’ils le font avec douceur ou sans aucune délicatesse, en trottinant en direction de la bouche du métro. Personne ne fait attention au sol àParis. Après tout, ce n’est que du béton couvert de bactéries.

Est-ce qu’on écrase des bactéries quand on marche, ou elles sont trop petites ?
Est-ce que les bactéries éprouvent des émotions ? Non, bien sà»r que non.

Je vais quand-même vérifier. Envie irrépressible de poser la question àGoogle. Est-ce un toc ? Je tape donc « Ã©motions  » et « bactéries  ». Je change pour « bacteria  », c’est mieux en anglais. Je vois qu’on ne parle que de cette histoire de bactéries intestinales qui peuvent changer notre humeur. Une découverte assez récente. Si on a de bonnes bactéries dans les tripes, on est plus optimistes. Sinon, dépressifs.

Quelle est l’état de la flore intestinale des habitants de Cergy ? Peut-être il faudrait aussi en faire une carte. La géographie des bactéries. Avec les silhouettes de toutes les espèces, une couleur différente pour chacune. Les couleurs se mélangent, forment des dégradés et des tourbillons microscopiques.

Apparemment les émotions nous aident àmieux s’adapter àl’environnement.

Donc, si les Américains sont les plus émotifs, sont-ils les plus adaptés ? Adaptés àquoi ? Et les Russes ? Et les Singapouriens ? Peut-être en vrai les Singapouriens sont aussi très émotifs que les Américains, mais ils le cachent. Peut-être ils ne verbalisent pas leurs joies et tristesses. Ou ils gèrent biens leurs émotions. Ils se déchargent en faisant du sport. Ou alors ils ont de meilleures bactéries. Ou leurs bactéries sont moins émotives. Ou peut-être les deux. Ou aucun des deux ?

Personne suivante






« Dès lors, et autant que faire se peut, les géographes doivent essayer de comprendre la conception du monde qui réside au cÅ“ur du groupe ou de la société qu’ils étudient. Ceci, moins pour l’étude de la représentation culturelle en elle-même que pour celle de ses expressions spatiales. Il s’agit làde retrouver les lieux où s’exprime la culture et, plus loin, l’espèce de relation sourde et émotionnelle qui lie les hommes àleur terre et dans le même mouvement fonde leur identité culturelle.  » (Bonnemaison, 1981 : 254-255)

J. Bonnemaison « Voyage autour du territoire  ».



Le dessous des cartes



Montrer ce qui n’est pas révélé. Cette assertion peut se définir comme le point commun ou le trait d’union entre deux professions a priori aussi éloignées que celles de géographe et d’écrivain. Et même si les outils diffèrent, il est intéressant de parier sur la complémentarité de ces deux approches.



Le brouillard. Si je dois résumer l’intervention de Damien dans l’atelier d’écriture créative du vendredi 12 octobre 2018, se sera malheureusement une atmosphère ouatée, ou seuls des sons assourdis me parviennent, filtrés par une tenace rhinopharyngite, ou laryngite, ou n’importe quelle saloperie de maladie en ite provoquées par un virus sifflant la fin de la récré : c’est fini l’été indien, réchauffement climatique ou pas.



Je tousse, je crache, et je sors de la salle àdeux reprises pour ne pas propager mes miasmes plus que de raison, incommoder un professeur qui ne nous a jamais encore rencontrés et contre qui je n’ai rien personnellement, et pouvoir essayer de respirer, tout simplement, en évitant àmes collègues mes barrissements éléphantesques quand je me mouche.



Mon cerveau tente de stocker mécaniquement les données que Damien déverse sur nous, àl’aide de cartes, de graphiques, de photos et de films, mais je ne puis pas l’ assurer. Y a-t-il vraiment eu un extrait de film ? Le disque dur n’enregistre plus grand-chose.



Pourtant, une histoire retient toute mon attention. Ah, la puissance du storytelling chère au spin doctors ! Méthode de communication narrative du discours qui s’apparente àcelle des contes et des récits. A priori ce que fait un écrivain, sauf quand c’est détourné àdes fins publicitaires, soit commerciales, soit politiques. Vendre : des chaussettes, un candidat, àtravers trente secondes de films àla télévision, ou une phrase-choc dans un magazine. Première piste pour la géographie des émotions, premier exemple de comment captiver un auditoire avec des cartes et une bonne histoire.



Damien fait alors le récit du calvaire d’une femme de confession musulmane, au moyen d’itinéraires matérialisés sur une carte. À l’échelle de son quartier, on suit ses déambulations àpied de son domicile vers l’école de ses enfants, vers le supermarché ou des commerces àproximité, vers le domicile d’une amie chez qui elle s’arrête boire un thé. Vers et vert, il me semble que les trajets sont indiqués en vert, signe qu’elle se sent en sécurité et que tout va bien dans son espace géographique quotidien.



Puis, le 11 septembre, deux tours qui s’écroulent en même temps que l’arrogance d’Américains ayant l’habitude de mener des guerres uniquement en théâtres extérieurs. Et pour cette femme, une cartographie différente, en rouge, qui rétrécit son espace vital et sécurisant àson seul domicile. Tout est rouge dans son quartier, une banlieue de New York, je crois. Elle finira même par ne plus sortir de chez elle, de peur d’être stigmatisée, son mari prenant le relais de ses trajets autrefois quotidiens.

Il me semble même que Damien évoque l’utilisation faite par des groupes musulmans de dispositifs indiquant des quartiers non agressifs pour les personnes de cette confession. Mais je n’en suis plus sà»re, mon cerveau s’est mis aux abonnés absents, et je me préoccupe de l’état dans lequel je vais parvenir àregagner mon domicile sans dommage après ce cours, cinquante minutes de conduite, grâce àmes automatismes. Une route que je connais, l’emplacement de radars que j’ai mémorisé, et personne qui va me regarder de travers parce que je suis blanche et supposée catholique ou protestante, alors que les femmes conduisant voilées essuient àlongueur de temps des regards de haine.



Encore sous le coup de la démonstration de Damien, un dialogue intérieur s’engage sur le trajet.



• Ouais, c’est ça va te balader au sensible quartier du Val fourré àMantes-la-Jolie et on en reparlera des regards en croix !

• Ça dépend, si je suis accompagnée ou pas de mon fils qui est de phénotype asiatique. Si je suis blanche, seule et inconnue, on va me dévisager, si je suis blanche et connue dans le quartier, on ne va pas me prêter attention, et si je suis blanche, inconnue, mais accompagnée par un non-blanc, j’aurai droit àun coup d’œil curieux, mais pas hostile.

• Ah oui, prouve-le !

• Il serait possible de retracer avec la même méthodologie les déplacements de quelques individus témoins, de niveaux sociaux, d’âge, de sexe, de profession et d’ethnie différents, dans des quartiers identifiés comme pauvres, riches, en voie de gentrification, bidonvilles ou zones, sur un mois par exemple, et d’interpréter leurs itinéraires par défaut, d’interroger pourquoi ils ne se déplacent pas dans certains endroits, àl’aide de cartes et d’entretiens ethnographiques. Et ensuite, d’en tirer des statistiques. Sauf qu’en France, on n’a pas le droit de produire des statistiques ethniques, et que donc, cette démonstration ne pourra jamais connaître une montée en généralité. Je ne peux donc pas prouver àgrande échelle ce que j’ai ressenti.



Et voilà ! Même si j’ai une idée théorique de ce qui peut relier Damien àMathieu dans leur projet, pour avoir lu il y a longtemps, dans une autre vie où j’étudiais les sciences sociales, les Carnets de géographes de septembre 2016 intitulés : « Géographies des émotions  », je cherche ce qui pourrait créer une passerelle dans le master de création littéraire entre les étudiants en géographie et nous.



La première réponse que je trouve se résume àdes états affectifs appliqués àl’espace. Pour en revenir àma ballade imaginaire (ou pas) dans ce quartier stigmatisé de Mantes-la-Jolie, j’aimerai trouver le moyen d’extérioriser ce ressenti par autre chose que des sentiments, de le quantifier et de ne pas le laisser dans une zone de simples affects ni conscientisée ni verbalisée.

C’est àdire donner àvoir le racisme, l’intolérance religieuse, les luttes de pouvoir pour la conquête d’espaces enfin ouvert àtous par exemple, ou n’importe quel autre fait social, au-delàdes intuitions. Des intuitions d’écrivains relayés par des interprétations scientifiques de géographes, et des mécanismes sociétaux décortiqués par les deux professions devraient produire des résultats hybrides et féconds. Je me souviens d’un cours donné il y a trois décennies, àdes demandeurs d’emploi de longue durée, ou j’avais superposé la carte de la densité de l’immigration en France et la carte de la densité de demandeurs d’emploi. Elles ne correspondaient pas. En clair, il n’y avait pas plus d’immigrés làoù il y avait plus de chômeurs. Certes, je n’ai pas convaincu toute une salle que les étrangers ne venaient pas enlever le pain de la bouche des « Français  », mais j’ai planté peut-être ce jour-làla graine d’autres pistes de réflexion.



À nous de trouver le mode d’emploi pour continuer àfaire germer cette graine. Et montrer ce qui n’est pas révélé au premier coup d’œil.



Des prédécesseurs illustres



Donner un ressenti comme le demande Mathieu sur le cours de Damien peut aussi être complété par des approches déjàéprouvées de la géographie des émotions. J’ai trouvé pas mal de pistes de réflexion dans l’article intitulé « Géographies, géographes et émotions, Retour sur une amnésie… passagère ?  »  », de Pauline Guinard et Bénédicte Tratnjek dans le « Carnets de géographes  » cités plus haut. Pour vous donner envie de le lire, ou pas, je vous transmets en guise de conclusion un tableau qui m’a paru précieux, celui des définitions des émotions selon les auteurs (de géographie s’entends). Car tout commence toujours par ce que les mots veulent dire non ?



VB





Sur le lieu de Damien



La géographie est un peu comme une langue étrangère pour moi. Un flux sonore dont je ne capte que des bribes éparses qui m’embrouillent plus qu’elles ne m’éclairent. Aussi agréable àmon oreille que les invectives d’un Allemand àqui on aurait marché sur les sandales. Déjàque je ne suis pas certaine d’être au clair avec la droite et la gauche, imaginez le niveau d’abstraction que peuvent atteindre pour moi des notions telles que le Nord et le Sud…

Ajoutez àcela de la fièvre et une migraine qui s’était installée sans y avoir été conviée dans mes méninges, vous aurez une bonne idée de la confusion intersidérale dans laquelle ce cours m’a laissée.

Une vague impression serait moins près de la vérité qu’une impression de vague (pardonnez le jeu de mot, quoi qu’ils s’en défendent, les écrivains ne peuvent pas s’en empêcher).




Camille Fayolle





LE METRO DE LONDRES



Bip. Bip. Bip.

Le vacarme strident du signal automatique retentit dans la rame de métro. Les portes s’ouvrent, laissant entrer une masse ordonnée de trench-coats et de chapeaux melon. Une voix mécanique sortit des hauts parleurs.


This is Vauxhall. This is a Victoria Line train to Brixton. Please stand clear of the doors.

Je me lève et, en tentant de me frayer un chemin jusqu’àla sortie, j’écrase quelques pieds et trébuche sur une mallette de travail. Une fois dehors, un nouveau signal assourdissant indique la fermeture des portes automatiques. Le train repart, remuant sur son passage l’air chaud et irrespirable du souterrain.

L’esprit vagabond, je parcours au hasard le dédale tortueux du Tube quand, au détour d’un passage étroit, un plan du métro de Londres retient mon attention.




C. de Sena Caires





Comment devient-on géographe ? Faut-il un esprit très scientifique ? doit-on aimer l’abstraction, les cartes, les dimensions ? Les courbes de niveau ? J’ai l’impression qu’il s’agit làd’un métier àla fois noble et méconnu. Discipline difficile dont les représentants ont bataillé pour en faire reconnaître l’autonomie. Après tout, chacun a son mot àdire sur l’espace, chacun est un peu expert ou se croit l’être. Ils ont si durement lutté pour arracher l’espace au sens commun qu’aujourd’hui ils en reviennent, depuis la solitude du laboratoire ils reviennent aux gens, ils disent « Ã©clairez-nous, c’est comment de vivre dans l’espace déjà ?  », parce que les gens, eux, n’ont pas attendu les géographes pour expérimenter, pour créer les ZAD, la Plaine, l’espace Khiasma, la Colonie, des cabanes.

Comme le géographe, l’écrivain est en difficulté face àl’espace. L’espace est si plein de discours, faudrait-il en isoler un seul ? Les condenser en un texte ? L’espace est si commun, peut-on s’arroger le droit d’en porter une vision ? Malheureusement, seul l’écrivain se pose ces questions. L’architecte, l’urbaniste, le décideur public, écrivent dans l’espace avec le béton, l’acier et le verre. Ils tiennent des discours par les formes, ils érigent les frontières symboliques en frontières physiques. L’écrivain de l’espace n’en fait pas tant. « L’écrivain de l’espace  » n’est pas le plus reconnu. Sa pratique est plus proche de celle du poète que de l’auteur grand public. Pas grand-chose ne distingue « l’écrivain de l’espace  » du clochard. Si le pouvoir gentrifie, repousse les pauvres, parque les riches, il fera en sorte de se débarrasser de l’écrivain aussi.

VBC






Sur l’intervention de Damien : schéma sur le 11 septembre



Ce que j’ai principalement retenu du cours de Damien est le schéma de vie de la femme voilée. Après les attentats du 11 septembre, celle-ci s’enferme chez elle. Les enfants sont donc accompagnés àl’école par leur père. Pour le reste, la femme ne sort de chez elle que pour faire les courses. Et même àcette occasion, celle-ci effectue des détours, prolonge son temps de trajet afin de ne pas aborder des quartiers où l’on pourrait la discriminer.

L’amalgame. L’ai-je déjàfait ? Sà»rement. Je l’avoue. Par bêtise et par peur, sans doute.

Par peur, il m’est arrivé de modifier mon quotidien.

Par peur, il m’est arrivée de moduler ma vie.

Après les attentats de 2015 àParis, j’ai arrêté de prendre les transports.

J’ai arrêté d’aller aux terrasses des cafés.

J’ai arrêté d’écouter de la musique dans la rue, afin d’être plus vigilante aux bruits autour de moi.

J’ai arrêté d’aller au cinéma.

J’ai arrêté d’assister àdes concerts.

Je me suis éloignée du monde, éloignée de la foule.

Je me suis éloignée de mes amis, prétextant des devoirs, un travail, un manque de temps.

Par peur, j’ai fait des insomnies.

Par peur, j’ai agi de manière agressive envers de simples passants qui me demandaient l’heure.

Par peur, j’ai fait l’amalgame.

Puis, j’ai compris que mes peurs allaient s’estomper. J’ai compris que je devais avancer.

J’ai compris que je devais vivre, tout en ayant conscience du danger.

Puis un jour, sans m’en rendre compte, je n’ai plus eu peur.

Et aujourd’hui, je vis.




Claret Marie






Impressions sur la « géographie des émotions  » :



Je suis assez peu convaincue sur une possibilité de « quantifier  » - en quelque sorte – une chose aussi subjective/changeante/imprévisible que l’émotion. Je trouve ça presque cynique de vouloir l’analyser, comme si l’humeur et les sentiments ne dépendaient plus d’une personnalité particulière mais d’un ensemble de causes données en fonction de l’environnement dans lequel elle évolue.




Maeva Gay






Géographie des émotions : Une panthère noire pour les Inuits ?



L’émotion façonne la langue et la langue façonne l’émotion. Mais existe-t-il un « pack  » d’émotions typiques de certaines populations. Les parisiens ont-ils plus souvent tendance que les normands àse plaindre de tout et de rien ? Expriment-ils àl’unisson leur colère face aux retards de trains ? Voilàque ma pensée s’égare. Un cours de géographie en fac de Lettres, quelle idée…



Quand je prenais le métro avec mes parents, le crissement infernal des roues sur les rails me terrifiait. Dans ces moments-làj’avais l’impression d’être en enfer et que la barque de Charon hurlait.



L’émotion façonne l’attention. On fait attention àce qui procure de l’émotion, ou du moins àce qui stimule l’amygdale. Le mien est endormi. Quelques flashs de couleurs de-ci et de-làforment de petites étincelles comme celles d’un silex, mais je ne peux que m’imaginer retourner àl’âge de pierre devant ces cartes d’un autre temps, trop scolaires.

Alors je préfère m’imaginer un monde merveilleux, où toutes les villes du monde seraient les mêmes, seraient Paris. Et sous les différentes appellations de la neige qui flottent dans l’air, je m’imagine un Inuit pour meilleur ami.



Il y a de cela trois mois, mon meilleur ami Inuit a décidé de quitter son loft en ville pour retourner vivre àla campagne. Il trouvait que l’ambiance urbaine ne lui convenait plus, malgré son jeune âge, et que le béton omniprésent manquait de charme. De plus, son travail àla mine de sel n’avait rien àvoir avec ce qu’il s’était imaginé. Et puis, tout l’argent qu’il gagnait, il le dépensait en poisson et en fourrure, biens qu’il aurait pu lui-même se fournir par la chasse. Pire encore, il avait des dettes, chose que je n’avais apprise qu’après une longue discussion avec une connaissance commune. Un partenariat dano-groenlandais avait en effet ouvert les portes du pays aux jeux d’argent et notamment au casino Lucky Caribou, temple de la débauche pour les uns, lieu de culte pour les autres. De fil en aiguille, mon ami en était venu àdemander de l’argent aux mauvaises personnes, des mafieux locaux connus sous le nom des « Aaveqpiluk  », les méchants morses, qui s’étaient montrés quelque peu réfractaires au concept de charité. Enfin, toutes ces péripéties ont mené mon ami sur les rives de Qeqertat, petit village isolé de la côte ouest. Cependant, la vie sur l’île était loin du havre de paix que les agences immobilières lui avaient vendu…



Voilàce que donneraient les aventures d’un Inuit àla capitale. Une histoire industrielle, un peu « porno  » comme diraient certains. Finalement, n’est-ce pas aliénant comme situation ? Vivre dans une société qui s’universalise progressivement. On n’attend pas un Wakanda pour les Inuits non plus, mais qu’en serait-il ? Des gratte-ciels givrés couronnés par de grandes têtes de caribous, d’ours et de renards polaires. Si l’émotion façonne le lieu et que le lieu façonne l’émotion, que va-t-on finir par ressentir ? Fini les quartiers latins, chinois, indiens et bonjour l’exotisme plastifié des albums Fnac (ai-je seulement le droit de la nommer). Bon, je m’éloigne des cartes mais cette question me taraude. Le marketing crée l’émotion, l’émotion nous façonne, nous sommes donc en partie des marchés et des publicités ambulantes. Les lieux de discussions, les cafés, les bars, les soirées sont autant d’incubateurs pour de nouvelles idées. J’y suis totalement étranger, cependant j’imagine bien l’envie d’une retraite, au Brésil disons, se propager grâce àune simple campagne publicitaire d’une banque anonyme. Alors comme sur ces cartes, on verrait apparaître les premiers symptômes de « l’envie  » que soudainement tout le monde ressent. Des points rouges, comme une traînée de phéromones, glisseraient et s’agglutineraient dans ces incubateurs. A la nuit tombée, en bas sur les trottoirs plein de tickets perdants et grâce aux fenêtres ouvertes pour rafraîchir les convives, on pourrait entendre les rires moqueurs face àun autre ton, si sérieux et concerné, que les rires repartiraient de plus belle.



Le Brésil c’est totalement le feu en ce moment. En trois mois t’as déjàta carte de séjour, t’apprends un peu de portugais et voilà. En plus, là-bas t’as même pas besoin de chercher ta boîte hein...



Ici, la jeune femme s’est arrêtée pour tirer sur sa clope. Dans quelques temps, l’exode vers la terre promise débutera pour les centaines de malades, de croyants, de « jeunes actifs  », de ceux qui s’en vont et se disent « je plaque tout  ». Pourtant, j’ai la crainte que nous soyons d’ores et déjàplacardés depuis notre plus jeune âge, vantant notre stock de publicités. Et lorsque je m’imagine les émotions ressenties dans la Rue de Rivoli, je ne peux que rire de moi-même. Car, il y aura ceux fascinés, tendant la main vers les vitrines, dévisagés par les « gros malins  » qui s’en détourneront jusqu’àl’extrême opposé, la devanture d’une boutique au bois pourri dont la mauvaise odeur sera, làaussi, propagée par des diffuseurs. Je laisse donc mes questionnements en suspens, espérant en chercher la réponse plus tard, le temps de remplir mes devoirs publicitaires.




Thomm






Compte-rendu sur le dernier cours en présence de Damien



J’ai beaucoup apprécié la présentation très riche d’informations et de pistes de réflexion qui nous a été offerte au premier cours. Il est toujours intéressant de découvrir les arcanes d’une discipline et j’ai ainsi pu me rendre compte àquel point la relation de l’homme àla terre avait pu évoluer au fil des époques. Ce qui m’a interpelée particulièrement c’est le fait de « tracer  » le parcours émotionnel d’une personne d’un point de vue géographique. Il est habituel pour nous les littéraires de faire état des émotions qui submergent un personnage mais de chercher àdresser une sorte de portrait en mouvement m’a beaucoup plu. Cela me fait penser au parfum : on suit son sillage, on devine une personne avant qu’elle ne nous apparaisse, il nous plaît ou nous déplaît et bien sà»r toute fragrance est propre un réveiller une souvenir assoupi dans la mémoire, comme l’a si joliment décrit Proust avec l’épisode de la madeleine. Ainsi chaque lieu recèle de trésors, de terres àsonder, de territoires àexplorer pour en faire sourdre les strates émotionnelles de tous ceux qui y ont fait choir, ne serait-ce qu’un instant, les larmes les plus amères ou les cris perçants d’effroi, la stupeur, l’amour... Travailler sur ce thème me fait également penser àla peinture, àla technique du glacis qui consiste àétaler de fines couches pour en faire surgir des éclats. Eclats de rire ou de joie, cÅ“ur qui vole en éclats, fragmentation de l’espace en de multiples émotions qui habitent tout lieu qu’on traverse, et qu’en naïf promeneur on ne percevra peut-être pas.




Lydie S.






La géographie des émotions, c’est quoi ?

C’est établir un rapport entre l’individu et l’espace, c’est la question de l’expérience du monde ainsi que la capacité de rattacher une émotion àun lieu – ou l’inverse.



L’idée de géographie des émotions met en relation l’espace et le sentiment éprouvé, qu’il soit maintenant, tout le temps, demain ou hier. C’est étudier le mouvement émotionnel, faire des avant/après attentat, pour une femme musulmane de New York, par exemple. C’est suivre son chemin quotidien et de le vivre de deux manières distinctes : l’Avant et l’Après. C’est lier les émotions de chacun pour en faire une représentation, pour l’étudier, l’utiliser, aussi.

La géographie des émotions n’est pas objective, c’est la volonté du chercheur géographe de vouloir immiscer sa propre subjectivité. Il y a la volonté de comprendre comment sentiment et espace s’associent et importent dans la construction et la déconstruction d’une population, de manière matérielle et psychologique. Il serait logique de s’approprier ces informations pour modifier la ville selon cette carte approximative, valoriser et multiplier les atmosphères allègres et condamner les lieux communs de peur.



La géographie des émotions, est-ce possible sur le long terme ?

On peut esquisser maintes cartes àpropos de maintes interrogations. Exemple : comment cette femme musulmane éprouvait-elle son trajet de tous les jours après les attentats du 11 septembre ? Très bien. Admettons qu’àcet instant elle était bouleversée, craintive, qu’en est-il aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? S’il y a bien quelque chose de mouvant, continuellement, ce sont les émotions. Cela fait de cette géographie une géographie incertaine, chancelante même. Ce ne sont pas des cartes qui peuvent perdurer dans le temps, ce sont pas des cartes fiables, aussi.

Après tout, il existe une kyrielle de noms communs pour désigner une émotion, mais peut-on être réellement sà»r de ce que l’on ressent ? Peut-on être certain de sa sincérité envers l’interlocuteur ? Sommes-nous capable de retranscrire correctement et précisément ce que l’on a éprouvé ?

Il y a quelque chose d’imprécis, d’incertain dans ce pan de la géographie. C’est intriguant, intéressant, dans le sens où il peut sans doute s’avérer utile l’exploitation de ces cartes par une institution (la politique…) afin d’améliorer ou non les aménagements.

C’est pourtant intime et personnel, mais peut-être que je confonds avec l’affect.


La géographie des émotions, c’est utiliser le corps comme médiateur, mais aussi user de ce qu’il éprouve pour tenter de catégoriser les émotions et les lieux. Ce ne peut être que de longues études ardues, durant lesquelles il faut être conscient du caractère éphémère de l’émotion. Mais, après tout, les cartes, au-delàde leur matérialité, ne perdurent pas : elles sont mouvantes, elles aussi.

Ce serait donc simplement une description des émotions dans l’espace, toujours le trajet de cette femme au ressenti différent selon deux temporalités données. Ce serait, àgrande échelle, se rendre compte d’un sentiment commun et de réfléchir àsa conception et àses conséquences sur la vie quotidienne et sur l’interaction des êtres en eux. C’est, àmon goà»t, prendre de la hauteur et guetter d’un Å“il affà»té les émotions de chacun, les répertorier et tenter de les expliquer, les exploiter. Ce dernier mot est irritant.



Il semble que ce soit néanmoins une notion omniprésente, consciente ou non et nous vivons d’une certaine manière selon nos émotions, qui elles-mêmes se rattachent àune temporalité. Les émotions, c’est ce qui construit notre présent, mais aussi l’avenir et en faire une géographie serait, sans doute, la matérialisation de celles-ci.




Léon Maelys






Le nudge au chocolat



Nous sommes dimanche soir et je repense àmon dernier cours de la semaine, un cours d’atelier d’écriture. Pendant ce cours, on a parlé de géographie des émotions, et àun moment l’intervenant àparler d’un nudge.

Savez-vous ce qu’est un nudge ? Moi, je ne savais pas.

Quand on nous l’a expliqué en cours, on nous a parlé de la place des mousses au chocolat qu’on échangerait avec celle des yaourts. Alors je me suis dit "un nudge, c’est une sorte recette en fait". Parfait.

Je m’était mise en tête de cuisiner ce "nudge", alors j’ai d’abord chercher sur internet "nudge au chocolat", mais je me suis directement ravisée. Il faut taper les bonnes choses si on veut obtenir le bon résultat, alors j’efface et je recommence : "nudge au yaourt".

Le premier lien internet m’emmène vers un site nommé "lescoursespourlaplanete.com" et, du peu que google me laisse lire depuis sa page de recherche, ça parle de yaourt végétal : peu m’importe, moi je voulais une recette.

Le deuxième lien parle lui de marketing. Une certaine Christine Halary nous explique comment "agir directement sur le comportement de nos clients", dingue. Elle a presque le même nom que moi ! Je clique dessus, bien entendu, et làc’est un grand article, qui parle de psychologie, de neuroscience, du design de la ligne E, bref.

Je lis en diagonale et ça ne parle aucunement de cuisine, et c’est làque je réalise mon erreur. Le nudge, c’est pas vraiment une sorte de gâteau. Dommage.

Tant mieux, quelque part, je me demandais bien quel rapport il y avait avec la "géographie des émotions". J’avais malgré tout toujours faim, alors je me suis fait des pâtes. Et comme ça prenait une dixaine de minutes àcuire, j’ai allumé la télévision.

Par réflexe, elle m’affiche TF1. Ils diffusaient une interview de l’ancienne madame météo Catherine Laborde, qui venait parler de son nouveau bouquin "Trembler", et de sa maladie de parkinson. Merde, Catherine Laborde a parkinson, je savais pas.

Je me rapelle de son dernier bulletin météorologique "Vous allez m’oubliez ? Moi pas. Je vous aime", c’était triste et émouvant. J’avais pas compris pourquoi elle quittait TF1 àl’époque. J’adorais Catherine Laborde, et je suppose que je l’adore encore d’ailleurs. Elle avait cet air maternel et gentil, elle souriait tout le temps. C’est bête, elle ne parlait que de températures et d’anticyclones, mais elle était captivante, et j’aimais bien regarder sa météo (ou devrais-je dire la météo qu’elle présentait).

Peut-être que je la regardait plus par habitude qu’autre chose, ou peut-être que j’aimais juste comment elle montrait Lyon, Caen et Paris sur sa carte. Elle rendait vivantes les masses d’air, faisait la pluie et le beau temps, et derrière elle bougeait les nuages. La France si plate et si uniforme prenait vie au bout de ses doigts. Vous me direz qu’elle était juste devant un fond vert, qu’elle n’était que présentatrice et qu’elle ne faisait pas la météo, et je vous dirais que je m’en fiche. Catherine était une magicienne des cartes, voilàtout. Et alors que mon minuteur me demandait de m’occuper des pâtes, je me disait que si il y avait bien une géographie des émotions, cela devait être celle de Catherine Laborde.




CLD






J’erre souvent àtravers les villes, l’inconnu. Ce n’est pas que j’ai tendance àm’égarer, plutôt que je n’ai jamais d’idée précise : pas de peur, de destination en tête, pas même de point d’attache. Sans doute que j’ai trop lu Breton aussi, que j’ai fini par croire que Nadja et moi, c’était la même histoire - le même hasard. Rien que ça… Combien de fois je suis partie àdes heures improbables, m’offrir aux boulevards comme s’ils n’attendaient que moi. Combien de départs àl’improviste. Sans prévenir personne. Sans le savoir. Alors bien sà»r que ça me parle, cette géographie des émotions. Des affects. J’aime bien l’idée que ce soit difficile de dire, d’exprimer ces choses-là.

(Pourquoi, par exemple, l’hôpital finit toujours par me manquer ?)

- Il faut croire qu’il y a de ces lieux invisibles qu’on s’efforce de peupler, des lieux que l’on hante jusqu’àce qu’ils deviennent nos propres fantômes.
Autrement je retiens les couleurs, les nuances, ces codes graphiques qui sont autant de langues àdélier. Comme des aurores boréales par-delàla Baltique, comme les lignes dansantes du métro parisien… La contemplation et la fuite, c’est peut-être aux antipodes - ou peut-être que l’un se veut le reflet souterrain de l’autre.

Je ne sais pas. En attendant, j’ai participé àun atelier de monotype, au Carreau, quelques heures pour un livre silencieux, quelques idées en l’air.




Chloé M.






La géographie des émotions a l’air d’être un sujet très intéressant, et j’ai hâte de connaître les consignes d’écriture et les projets que nous développerons en rapport avec lui. Damien nous a appris que peu de géographes s’intéressaient àce sujet, je me dis qu’ils trouvent peut-être ça trop abstrait, parce que le sujet me semble contenir beaucoup d’aspects psychologiques et sociaux.

Par rapport aux cartes que l’on nous a présentées, je trouve que la plus intrigante est celle de la New Yorkaise musulmane avant et après les attentats. Nous comprenons que ces événements ont affecté la vision des américains sur la religion musulmane, ce qui se voit nettement sur la carte avec le comportement de la New Yorkaise après les attentats, alors qu’elle se sentait en sécurité et sereine avant.

C’est un peu (mais vraiment un peu) comme quand je suis àCergy pour aller àl’université. Je m’y sens bien et en sécurité, mais passé 21h, si je suis seule, ça change la donne et Cergy devient une grande ville qui m’effraie et où toutes les rues qui me sont familières deviennent des repaires du crime où je ne dois surtout pas m’attarder (cette image est très forte, je m’en rends bien compte).

L’aspect qui m’a le plus intrigué sur ce sujet concerne donc le changement de comportement selon l’ambiance dégagé par un lieu (ça doit sà»rement avoir un autre nom…).




Anna Camilla






Géographie des émotions



La mer de la Tranquillité.

La rue de l’espérance. L’impasse du bonheur.
Les émotions courent les rues. Est-ce après les émotions que courent tous ces gens, et les astronautes ?



La géographie des émotions de ta maison. Tu cours dans les escaliers.



La géographie des émotions de la route, quand tu te déplaces en voiture. Plutôt la géographie – siège avant gauche - des émotions de ta voiture.

Ton corps est-il comparable àune voiture ? Où que tu sois, tu parcours la géographie de ton corps. En quel lieu de ton corps te tiendrais-tu ? Ta conscience se déplaces en lui. Les émotions de ta géographie physiologique.

Ta première géographie, imaginaire. Comme toute géographie. La réalité dans les émotions.



Hypergéographie des hyperémotions.



Géomancie des émotions. Terre, cailloux, poussière, jetés sur le sol.

Béton, ciment armé, acier, panneaux de bois, d’aluminium, de faïence, de végétaux, miroirs, vitres, baies, arcs, angles, cylindres... jetés làdans la rue.

Prédire d’un bâtiment les émotions qui en découleront. Programmation des émotions.

Et la sympathie du hasard. L’accidentelle disposition. Aléatoire salutaire de certains espaces.

L’aléatoire de la pensée. Se désorienter.



La circulation des corps dans l’espace est la pensée de la ville.

Sans les émotions, la pensée de la ville serait représentable par le déplacement d’un point a àun point b de tous les citoyens (Comme sur ce schéma). A cause des émotions, on ne peut prédire sa pensée. Elle nous échappe.

En limitant les émotions du citoyen, nous serions en mesure d’établir une géographie plus sincère.

Les émotions renvoient la géographie àson hypocrisie.



Tu es le mobile. Ton cœur battant le bitume rythme les colonades.




Philippe Mertz






ils quantifient la peur ils dessinent la souffrance ils colorient la haine

ils tracent la honte ils mesurent la violence ils frontiérisent les droits

ils calculent ils chiffrent ils cartographient l’ « Homme  »

10% regards

20% insultes

30% crachats

40% coups

50% xénophobie

60% islamophobie

70% homophobie

80% viols

90% meurtres

100% humain

…

Sapiensophobie



Mathieu N.






La géographie des émotions (?) est àmanipuler avec précaution, donc. Mais si elle reste un objet abstrait, elle devient concrète pour nous grâce aux couleurs.

C’est pratique. Une carte du monde représente une proposition de « taux émotionnel  » des différents pays. Le pays dont les habitants, interviewés, ont paru ressentir peu d’émotions sera coloré en vert clair ; celui dont les habitants ont paru en ressentir beaucoup, en violet foncé. Le contraste est fort entre ces deux couleurs qui s’opposent. Le cartographe a associé le violet foncé àl’intensité et le vert clair àl’absence.

Un autre cartographe nous propose de suivre le chemin d’une femme voilée dans New-York, avant et après le 11 septembre 2001. Les routes empruntées pré-attentats sont tracées en noir. Les routes post-attentats sont rouge vif. On ressent tout de suite le propos : après le 11 septembre, la femme se sent en danger dans la ville.

Est-ce la peur qui est rouge, ou le rouge qui est dangereux ? La puissance qui est violette, ou le violet qui est puissant ? La rareté qui est verte, ou le vert qui est rare ? Sont-ce nos émotions qui sont colorées, ou les couleurs qui nous en provoquent ?




Clarisse






Il est intéressant de constater comme un espace accueillant peut soudain devenir l’endroit àfuir : d’un individu àun autre, d’un évènement àun autre pour le même individu, selon une période de l’année.

Pourtant, cet espace demeure souvent le même. La vision de chacun lui confère une charge émotionnelle qui vient se superposer comme la carte des fleuves sur celle des montagnes.

Certaines convergent, se rejoignent, s’éloignent. Mais ces visions sont rarement immuables et ne possèdent pas la rassurante stabilité des autres cartes géographiques.




M. Raspail






Pensées croisées



C’est au départ si léger qu’il est presque impossible de l’entendre si on ne le veut pas. Détrompez-vous, c’est un piège. C’est ce qu’il veut. Il attend, il guette le moment parfait pour vous rendre fou.

Une carte absurde, alambiquée. Mais une Russie pas très émotive, ça reste crédible.
Mais plus le temps passe, plus il est difficile d’ignorer son vrombissement. C’est un appel. Il vous parle. Il chuchote àvotre oreille. Penser àautre chose. Penser àautre chose. Penser à...

On devrait dire aux urbanistes de Cergy de se renseigner sur la géographie des émotions. Ils essaient, c’est évident. Ils font pousser des fleurs sur du béton et fabriquent des robinets géants. C’est inconcluant, mais l’effort est apprécié.

Je suis là… Écoute-moi, écoute-moi, écoute-moi… Personne ne m’écoute jamais, écoute-moi ! Fais attention àmoi, je suis là, écoute-moi… Non ! Écou...

Une femme, une religion, un événement. Comment les choix d’hommes, des milliers de kilomètres àl’est, peuvent radicalement influer sur votre vie. La remplir de peur, vous mettre àla merci de la peur des autres, et subir. Subir et…

Écoute-moi. Tu ne m’écoutes pas là. Écoute-moi. Allez, s’il te plaît, c’est mon quart d’heure de gloire. Tout le monde se fiche de mes sentiments, mais j’ai des choses àdire moi aussi, pas seulement àmontrer. Alors écoute-moi.

Que quelqu’un fasse taire le projecteur.




Lise




16 avril 2019
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